Wozzeck : en mars 2013 à l’Opéra de Rouen

Wozzeck : un univers impitoyable

A propos de la mise en scène de Mireille Laroche

Mars 2013 opéra de Rouen

 

1)   HISTORIQUE

En 1821 à Saxe, un coiffeur assassine sa maitresse ; malgré un questionnement sur son éventuelle irresponsabilité, il sera exécuté.

Büchner, dans la pièce Woyzeck (1837) reprend ce fait divers.

En 1914, Berg assiste à une représentation de ce drame ; en 1925, il créé Wozzeck « opéra moderne » œuvre en trois actes, quinze scènes, musicalement avant -gardiste (atonal).

De Berg, il sera dit à Berlin en 1925, qu’il était « un juif cherchant à empoisonner le peuple allemand », puis lors de la représentation à Prague, en 1926, Berg sera traité de « juif allemand qui veut empoisonner le peuple Tchèque » ; le maire suffoquera d’une crise cardiaque lors la représentation…

C’est probablement le pressentiment du « terrible », qui verra son achèvement lors de la deuxième guerre mondiale qui contribuait à cette levée de boucliers, d’ailleurs les nazis firent interdire la représentation de cet opéra.

En 2013, Berg avec Wozzeck nous empoisonne toujours ( !) car il ne cesse de poser des questions sur l’inhumanité, l’injustice, la souffrance … dans notre société.

2)   MISE EN SCENE DE MIREILLE LAROCHE

a.    Introduction

 

L’opéra se déroule de nos jours (le metteur en scène prend beaucoup de libertés, tout en restant fidèle à l’esprit du livret, ce qui n’est pas le cas de biens des adaptations). L’action se situe dans « une banlieue, zone de non-droit, friche entre survie et désespérance, au sein desquelles la violence se déploie, produit de notre société » (Mireille Laroche).

Wozzeck et sa compagne, Marie font partie des « pauvres gens », ils ont eu un « bâtard » et vivent dans une camionnette aménagée, devant une palissade, masquant un champ d’immondices.

Wozzeck, soldat coiffeur, se situe dans la lignée du « pauvre soldat » tel que Zola le décrit dans la Débâcle,1892, Stravinsky dans L’Histoire du soldat,1918 et plus tard, Brecht  dans Schweyk dans la Deuxième Guerre mondiale,1943.

Les thèmes d’écrasement des exclus, l’appel désespéré à la fraternité, la convivialité rendue impossible par l’ordre social y sont récurrents. Le héros devient l’anti-héros.

Le pitoyable capitaine juge son « soldat-coiffeur » bête, et le médecin mégalomane et malveillant tente de pseudo expériences médicales, au détriment du pauvre Wozzeck.

Mireille Laroche poste le capitaine et le médecin sur des échafaudages position supérieure certes, mais constructions branlantes, ne demandant qu’à s’effondrer dans cet univers d’insécurité.

Entre chaque scène, Berg place un interlude musical. Mireille Laroche a la belle idée de faire tomber, lors de ces ponctuations, un rideau couvert de tags, hiéroglyphes des temps modernes.  Le décryptage se situe dans l’alchimie du verbe littéraire et musical, éclairant la vision de la destinée humaine  du compositeur.

« Le monde est fou, le monde est beau » s’exclame Wozzeck.

« Le cerveau de Wozzeck n’est plus que le siège du chaos humain et urbain » Mireille Laroche.

Emmanuel Diet évoque la perversité de notre société contemporaine : « les vécus mélancoliques et paranoïdes se développent dans ce contexte d’angoissante incertitude »(1).

b.    La position mélancolique de Wozzeck

Le « pauvre diable », éternellement seul (socialement), exclu humainement (la folie le menace) et sexuellement (Marie le repousse), vit dans un « endroit mortel ». Il sombre dans une véritable mélancolie :

« Silencieux, tout est silencieux comme si le monde était mort » (acte 1, scène 2)

« C’est à avoir envie de se pendre » (acte2, scène 2)

« La terre est un vrai enfer pour certains, il est froid à côté de la vie » (acte 3, scène 3)

Wozzeck ayant assassiné Marie, cherche le couteau, arme du crime, souillé de sang et tente de le laver dans un étang.

« Malheur, malheur, je me lave avec du sang, l’eau est du sang » (acte 4, scène 3).

Mireille Laroche remplace l’étang par un tas d’ordures, dans lequel Wozzeck s’enfonce et disparait, déchet parmi les déchets…Le capitaine et le médecin restent imperturbables et s’éloignent… belle scène, très cinématographique, comme tout l’opéra, d’ailleurs.

c.     La position paranoïde de Wozzeck,

Marie la dépossédée en est la victime.

Jugé « bon pour l’asile » par le docteur, Wozzeck est en proie à des hallucinations : « une terrible voix me parle » (acte 1, scène 2).

Il se sent persécuté par les Francs – Maçons (les tortionnaires probablement).

« Il est sur la piste de beaucoup de choses » (acte 3, scène 1)

Il fait justice lui-même, en sacrifiant Marie, infidèle. Marie ne se donne pas au Tambour-major pour quelques verroteries, elle n’est pas Marguerite qui a l’illusion : « d’être la fille d’un roi qu’on salue au passage » Faust de Gounod acte 3.

Elle sait, qu’elle n’est qu’une «  pauvresse », elle cède par pur désir ; « encore, encore » !! En dépit de sa prière, elle ne sera pas rédimée comme Marie Madeleine, la pécheresse; cela préfigure la fin tragique de Lulu (dernier opéra inachevé de Berg 1929-1935). Marie chemine vers son destin, en encourageant Wozzeck à la tuer, tout comme Carmen(1875) dans la scène finale « et bien frappe-moi donc ou laisse-moi passer »

Marie : « Plutôt un couteau dans le corps qu’une main sur moi, mon père n’a pas osé lorsque j’avais dix ans ». (acte3, scène 3)

Elle est une femme libre (dont on imagine l’enfance) et désabusée : «  Ah quel monde, que tout aille au diable, homme, femme et enfant » (acte 3, scène 3)

d.    Le final

 

Dans cette adaptation, l’enfant est tout le temps sur scène, témoin silencieux. Dans la scène finale, l’enfant à qui on apprend la mort de sa mère, classiquement galope sur un bout de bois (cheval imaginaire) et pour la première fois, on entend sa voix enjouée- moment glaçant -« Hop ! Hop ! Hop ! Hop ! Hop ! »

Mireille Laroche met en scène l’enfant seul, devant un tas de chaussures (difficile de ne pas songer aux camps de la mort), qu’il va aligner les uns derrière les autres « hop, hop, hop, hop… »

Je me surprends à fredonner, en mon for intérieur  « la meilleur façon de marcher, c’est encore la nôtre, c’est de mettre un pied devant l’autre et de recommencer » Son père disait qu’on allait en enfer pieds nus (acte 3 scène 3).

Et soudain je me mets à espérer que la vie va continuer, que cet enfant va aller de l’avant… émotion qui échappe à toute analyse…

Ecoutons Berg (conférence sur Wozzeck en 1929) dans laquelle il explique les processus de compositions musicales extrêmement complexes et conclut « oubliez toutes mes explications théoriques et esthétiques lorsque vous assistez à  la représentation de Wozzeck »…

                                                                           May Desbordes

Emmanuel Diet  « aujourd’hui nommer la perversion » dans Connexions ;l’hypermodernité en question. ed Erès n°97;p95

l’hypermodernité en question

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