La nuit du chasseur

A L’ECOUTE DE

Robert Mitchum dans La nuit du chasseur

Robert Mitchum dans La nuit du chasseur

 

INTRODUCTION :

En 1955, l’acteur Charles Laughton réalise son unique film, d’après le roman éponyme de Davis Grubb, paru en 1943, peinture de la crise économique des années trente, en Amérique.

Synopsis

Nous sommes dans un petit village, en Virginie, au bord de l’Ohio.

L’action débute par l’arrivée de Ben Harper auprès de ses enfants : John, 11 ans et Pearl, 5 ans.  Il vient de commettre un holdup, durant lequel il a tué deux personnes. Après le krach boursier de 29, nous sommes au début de la crise économique, le chômage ne cesse de croître, l’argent manque dans les foyers…

Avant d’être arrêté, Ben Harper cache le butin dans le ventre de la poupée de sa fille, cet argent devant assurer l’avenir de ses enfants.

Il fait jurer à John et Pearl de garder le secret de la cachette, ils ne doivent même pas en parler à leur mère.

Avant son exécution, il rencontre en prison Harry Powell, faux pasteur, meurtrier de veuves. Powell devine que Ben Harper a caché son butin mais n’obtient aucune confidence.

Après sa libération, Powell se rend à la ferme des Harper. Il séduit et épouse la veuve. Il comprend que les enfants savent où se trouve l’argent mais pas leur mère… qu’il tue, puis il persécute les enfants qui parviennent à s’enfuir, descendant de nuit, le fleuve, dans la barque de leur père. Powell, fou d’avidité se lance à leurs trousses.

Au terme de la descente nocturne du fleuve, les enfants apeurés font une belle rencontre.

John et Pearl sont recueillis par une vieille dame, Rachel qui va les protéger, comme elle protège déjà d’autres enfants. Lorsque Powell vient chez elle chercher les enfants, elle comprend la situation, blesse le faux pasteur et appelle la police.

John assiste à l’arrestation de son beau-père, chorégraphiée par le cinéaste exactement de la même manière que celle de son père. L’enfant déchire la poupée, s’en sert pour frapper Powell, rendant ainsi les billets volés.

Harry Powell sera pendu comme Ben Harper, par le même bourreau ….

L’évolution du succès du film

Ce film, aujourd’hui mythique, a connu un échec commercial, lors de sa sortie. Charles Laughton ne pourra plus jamais obtenir de crédit comme réalisateur. Nous sommes en 1955, année prospère en Amérique, le public ne souhaite pas se souvenir des sombres années 30.

Une tentative d’explication est donnée par Bill Krohn :

« Le film devient le révélateur d’un monde fondé sur de fausses valeurs dans lequel Powell incarne l’alliance éternelle entre le fascisme américain et l’hystérie puritaine, qui à l’époque avait pour nom et visage le maccarthysme. »

Les cahiers du cinéma : numéro 578, page 67. Avril 2003

Durant les années de crise, les gourous en profitent pour endoctriner les plus démunis comme nous le constatons actuellement avec la montée de l’intolérance, de l’intégrisme et du fascisme. Powell se montre comme un apôtre du puritanisme qui exclut le féminin, comme nous allons le voir à l’œuvre.

Le dénouement.

Le dénouement.

TENTATIVE DE LECTURE PSYCHANALYTIQUE :

Ce film fourmille de possibles lectures psychanalytiques, je vais tenter d’en évoquer certaines.

La défaillance des images paternelles

Le père est un voleur, meurtrier qui voulant assurer l’avenir de ses enfants, leur fait porter un secret transgressif qui va les mettre en danger, psychiquement et physiquement.

Powell est un usurpateur, meurtrier, trouvant ignoble les pulsions sexuelles féminines et dont on devine l’impuissance. Il ouvre brusquement son couteau caché dans la poche de son pantalon lorsqu’il assiste au spectacle d’une femme dansant puis, lorsqu’il est confronté aux avances d’une jeune fille, équivalents d’érections chargées de pulsions meurtrières.

Ses tatouages « love » et « hate » sur chacune de ses mains qu’il met en scène lors de ses prêches, pour convaincre du triomphe de l’amour, ne sont que simagrées et nous voyons bien que la haine l’anime en dépit de son discours …

Il refuse d’avoir des relations sexuelles avec son épouse et la repousse durant la nuit de noces (il dit n’admettre la sexualité qu’en vue d’une procréation !) Peu de temps après cette nuit, il tue Willa en la poignardant…

Parmi les personnages secondaires, le quincaillier bienveillant est complètement dominé par son épouse !

Et le vieil homme qui veille sur le bateau du père des enfants, ne peut jouer aucun rôle protecteur à cause de son alcoolisme.

On comprend que lorsque John est recueilli par Rachel, il s’imagine être le fils d’un roi chargé de tuer ceux qui cherchent l’or de son père.

Des images maternelles bien différentes

Willa, la mère des enfants se sent responsable des actes criminels de son mari, elle lui réclamait des bijoux, des choses futiles. Mais elle est vite séduite par le faux pasteur « puritain » qui déteste les femmes. Willa aveuglée par sa passion et sa culpabilité, ira jusqu’au sacrifice ultime, incapable de protéger ses enfants.

La rencontre salvatrice est celle de Rachel, vieille femme qui a perdu l’amour de son fils unique et, après ce vécu qu’on imagine très douloureux, elle a su continuer à vivre, porteuse de valeurs d’amour et de solidarité. Elle recueille les enfants perdus, ou abandonnés par les parents (c’est la crise), qu’elle entoure de son affection sans faille et d’une tendre fermeté, les mettant en garde contre les fausses valeurs, les babioles par exemple. Lucide devant les faux prophètes, elle ne se laisse pas berner par leurs boniments et ne craint pas de s’armer de son fusil pour protéger les êtres sans défense. Les enfants peuvent compter sur cette femme ayant de fortes valeurs éthiques, de vraies valeurs.

Ayant trouvé les enfants endormis dans la barque de leur père, elle raconte à John, l’histoire de Moïse, lui offrant ainsi une possible identification, plus paisible que celle de gardien d’un butin.

Le secret et ses relations avec les théories sexuelles infantiles

Pearl, porteuse aussi du lourd secret, joue à sortir les billets du ventre de sa poupée. Elle découpe deux silhouettes dans les billets, un petit garçon et une petite fille :

« Et voilà, maintenant tu t’appelles John et toi Pearl ».

Il semble possible d’envisager que pour elle, l’argent soit la semence ayant fécondé la poupée-mère. Nous assistons à une mise en scène ludique d’accouchement.

John sait que les jeux de l’enfance sont à jamais perdus. Lors de l’arrestation de son père, après avoir vu où le père cache les billets, il serre son ventre entre ses mains comme enceint d’un secret trop lourd à porter. Secret, vécu comme une malédiction qui l’enferme dans le silence.

Plus tard, son beau-père lui dit : « nous n’avons plus de secret entre nous » espérant ainsi le faire parler, ces mots font étrangement écho à l’injonction paternelle.

Pour échapper à Powell qui les pourchasse, les enfants descendent de nuit, la rivière, dans la barque de leur père. L’eau- amnios transporte la vie en surface, pendant que le cadavre de leur mère repose au fond de l’eau. Durant ce voyage nocturne, dans ce film en noir et blanc, le metteur en scène ajoute des plans évocateurs de fécondité : les fleurs émettent leur pollen …Rachel trouve les orphelins endormis dans la barque (Moïse), belle image d’une renaissance qui débute.

John assiste à l’arrestation de son beau-père, réplique de celle de son père, répétant le traumatisme initial. Il tient à nouveau son ventre à deux mains et accouche de son secret : il saisit la poupée et s’en sert pour frapper Powell à terre, et John qui ne l’a jamais appelé papa, crie :

« Papa, c’est trop, papa, je ne peux pas supporter çà, ici ! Je n’en veux pas ! C’est trop ! Je n’y arrive pas ».

Les billets sortent de la poupée éventrée et délivrent John, dans tous les sens du terme.

Avec les enfants de ce film, nous percevons la mise en échec de leur fantasme d’auto-engendrement par le père (sans mère) : John et Pearl s’auto-engendrent. L’argent volé par le père devenant une possible semence fantasmatique, déposée en eux.

Pour grandir, l’étayage de Rachel va lui être précieux, elle lui offre une pomme (le savoir), John lui enveloppe précieusement une autre pomme, en cadeau, le jour de Noël, durant lequel on célèbre la naissance du sauveur. Un vrai savoir peut circuler et non plus un secret délétère.

Le cadeau de Noël de Rachel à John est une montre :

« Un garçon qui se respecte ne peut pas sortir sans montre. Il doit avoir l’heure ».

L’inscription de John dans une temporalité apaisée, semble assurée.

Rachel, parlant des enfants a le mot de la fin :

 « Ils supportent tout et ils endurent tout »

CONCLUSION

Bien d’autres thèmes auraient pu être abordés concernant ce superbe film, je me suis centrée sur les enfants, peut-être parce que j’ai eu la chance de voir, encore enfant, cette œuvre lors de sa sortie.

L’histoire de cette petite fille protégée par son grand frère, ne me laissait pas indifférente…

Peut-être aussi parce que, plus tard, j’ai été touchée par la confidence de Charles Laughton à Davis Grubb : son épouse n’ayant jamais souhaité avoir d’enfant, il en avait toujours souffert et d’ajouter :

« L’art est une sorte de compensation au fait de ne pas avoir d’enfant »

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