La modernité

Sans titre

Albert Le Dorze, autour de son dernier ouvrage :

             Cultures, métissages et paranoïa

 

 

La Modernité.

La troisième partie du livre est construite par Albert Le Dorze, selon un processus qui nous est familier et qu’il appellerait, pour faire court, celui des degrés de l’excès. A partir d’une thématique qui fait apparaître d’abord un regroupement de thèmes : race, racisme, identité, culture, paranoïa, eugénisme, puis un thème à chaque fois : exotisme, question noire, différences, choc des cultures, modernité, l’auteur insère dans chaque thème y compris dans les thèmes regroupés des textes d’auteurs choisis parmi les plus récents en évitant la trop grande ancienneté. Et c’est à partir de ces textes expliqués – jamais d’une manière dénonciatrice et violente en excès, quelle que soit leur teneur – qu’il parvient à la fois, dans le contraste ou la congruence, à faire apparaître la signification ou le sens du thème et parfois son implication de chercheur ; il laisse quelque doute sur sa propre problématique, mais il semble qu’il fasse, en explication et parfois en commentaire, son propre « contre-transfert » par rapport à ces textes qu’il fait défiler peu comme des analysants.

Sur la modernité, selon Julia Kristeva, il y a un cosmopolitisme hégémonique (par exemple le capitalisme) et un cosmopolitisme vernaculaire avec un droit à la différence dans l’égalité. Mais le pouvoir peut être pensé dans l’hybridité de la race et de la sexualité ; le dynastique est dans le démocratique. La césure temporelle implique ce pouvoir. Le présent dans la modernité est imposé par le colonialisme. Le colonialisme a perverti le psychisme de l’indigène, dit Fanon. La pensée post-colonialiste, celle des Post-cultural studies a pénétré dans le processus de subjectivation des assujettis coloniaux, disent Bhatta, Meembe, Chaksabarty. Chez Nancy et Meembe, il y a l’idée de l’en commun et de la singularité avec une valorisation de la différence. Joan Scott dit que l’étude de la différence doit mettre en question le statut d’originaire. Le Dorze rappelle à Meembe – qui s’élève contre l’ostracisme manifesté aux femmes musulmanes portant la burqa – que l’adoption de la laïcité a nécessité la séparation des Eglises et de l’Etat, l’école laïque, l’expulsion des ordres religieux. Caroline Fourest condamne le diversentialisme et la discrimination positive en fonction de la race.

Georges Zimra écrit : « Pour qu’advienne l’idée de citoyen et ensuite de sujet de droit, il est essentiel que soit opéré au préalable le sacrifice de toute conception transcendante qui gouverne les hommes. » Le point nodal, dit Depestre, consiste dans le droit, dans une culture donnée, d’exercer des facultés d’autocritique. Il y a une barbarie européenne, dit-il, dont la culture a produit le colonialisme et les totalitarismes nazi, fasciste et stalinien. Les cultures, dit Zimra, ne sont pas inertes, elles ne vivent que par le contact avec les autres.

Sur l’homme postmoderne, le métissage généralisé aboutit à une culture nouvelle, véhicule de courtoisie de l’empire américain. La postmodernité, c’est aussi l’universalité du Marché avec la victoire du moi, du soi, de l’ego, de l’individualisme et du subjectivisme.

Fukuyama pense que s’annoncent des siècles d’ennui avec le calcul économique, etc. La culture rejoindrait la nature sauvage. Présentement, pour combattre ces tendances il y a le nationalisme et l’intégrisme religieux. Il n’y a pas d’au-delà de l’état homogène, tout au plus passage d’un état de droit à une société des droits

Pour Winnicott, la séparation d’avec la chose-mère nous oblige à la dénégation de cette perte et de ce deuil, afin que nous accédions au langage, au bonheur des symboles.

Pour Marx, l’histoire humanise la nature, sublime la négativité.

Selon Fukuyama, deux moteurs alimentent le processus économico-historique : le progrès scientifique qui fait évoluer le marché et le besoin de reconnaissance : les hommes veulent que les autres les reconnaissent dans leur dignité, leur singularité.

Le métissage culturel universel aboutirait in fine non pas à l’égalité des droits de tous les individus, mais à la victoire culturelle sans partage de l’empire américain. Sans les communautés ethniques et la diversité culturelle, on ne comprend pas l’industrie des musiques américaines, ni Internet. Mais, en 2008-2009, le patrimoine d’un hispano-américain a chuté de 66%, celui d’un asiatique d’origine de 59%, celui d’un blanc de 16%. %, celui d’un afro-américain de 63%.

Le mainstream combine, culture de masse et intégration d’éléments exogènes. Le capitalisme est un système décentralisé qui privilégie l’original à la copie. C’est un modèle dynamique, rarement statique.

La mondialisation aboutit à une universalisation culturelle mondiale et à des niches de morcellement identitaire. Dans la bataille mondiale de la main Stream, l’Europe sera à la traine.

Heidegger voit dans la technique un mode de dévoilement du monde. Aujourd’hui, il y a primauté du visuel sur l’écrit. Il y a l’angoisse d’être exclu de la sphère médiatique. L’individu est incité à circuler, il est réifié, on ne parle plus de social.

La neuropharmacologie est là pour maîtriser les comportements. Le patrimoine génétique humain devient le dernier refuge de la transcendance religieuse. La contingence de la vie, ce cadeau venu de nulle part, dit Arendt, disparaît par les manipulations génétiques. Apparaît un homme nouveau par extension artificielle du système nerveux. Il y a possibilité de mettre un terme à l’histoire humaine. L’histoire post-humaine commencerait.

En conclusion, dit l’auteur, dans vingt-trois pays européens l’immigration est désormais vécue de manière négative. Pour un auteur comme Guilly, l’autre ne devient pas soi, il reste l’autre sans identification possible. En cas de métissage, le dominé doit se fondre dans le dominant.

En France, 1/4 des salariés vivent avec moins de 750 euros par mois. Le poids des ouvriers et des employés représente 55% des actifs. La majorité des retraités sont des ouvriers et des employés (67%). La logique est séparatiste : la société multiculturelle se veut une société communautariste. Un ouvrier et un paysan sur vingt contourne la carte scolaire pour éviter la proximité ethnique. Chez les employés, un sur cinq. L’enfant s’oppose à l’élève. Il choisit affectivement les valeurs de la communauté d’origine.

L’Islam devient une compensation à la promesse non tenue de l’intégration. La légitimation est sociale, spirituelle et rédemptrice. Le mariage islamique est endogamique. Il faut faire entrer, dit Kepel, la jeunesse des banlieues dans le monde du travail.

D’un côté les Etats démocratiques proclament l’universalité des droits de l’homme ; de l’autre, des Etats répondent que les droits de l’homme sont un cadeau fait par Dieu à l’homme pour le rendre heureux sur cette terre. La lapidation des femmes ne regarde pas les Etats démocratiques.

Le Dorze dit : il est des principes sur lesquels nous ne pouvons pas transiger, notamment celui de l’égalité entre homme et femme. L’égalité ne doit pas se faire au prix de l’abrasement des différences.

Dans la distinction solidarité mécanique/solidarité organique faite par Durkheim, il y a nécessité, dans la solidarité organique, de l’exaltation de valeurs qui permettent le lien social et le vivre ensemble. La laïcité peut-elle supporter l’absorption du politique par le religieux ?

Selon Michel Wieviorka, démocratie culturelle et multiculturalisme modéré sont à construire.

Il ne faut pas confondre universalité et conformité. Pour Badinter, la connaissance visuelle est une des conditions élémentaires de la vie. Entre diversité et métissage généralisé, il faut choisir. Strictement, pour un citoyen souverain, le racisme anti-blanc n’a pas plus de consistance que le racisme anti-noir.

« Sale nègre » : 82% disent qu’il doit y avoir sanction ; 45% sanction pas trop sévère. « Sale juif » : 78% disent qu’il doit y avoir sanction, 37% favorables à lourde sanction. « Sale arabe » : 69% favorables à une sanction, 27% sanction sévère.

La neutralité fournit une nouvelle identité planétaire. Les valeurs modernes universelles sont neutres, idéologiquement libres de toute couleur confessionnelle. Il y a dédoublement de la conscience par la raison.

Les cultures sont des climats d’être, elles sont dialogues de l’homme avec lui-même, avec son âme, avec son passé immémorial. Avec art du bricolage. Mais il y a une situation interépistémique entre le pas encore et le plus jamais avec risque de schizophrénie culturelle.

Quand on passe d’une société traditionnelle à la modernité, les correspondances, les symboles font défaut (Foucault).

L’inconscience de l’Occident fait sa bonne conscience.

Il y a hubris du global comme excès illégitime. Le local est la force du faible, le global la faiblesse du fort. Il y a un complexe de supériorité de l’Occident, un déni du sacrifice. C’est le triomphe du frappeur à l’abri. On est dans la prison du temps court, avec dissémination du perturbateur.

Dans l’ambition d’une histoire/monde, l’une des tâches de l’historien est de faire droit à des potentialités inabouties.

Une réponse non culturelle peut être donnée à la question ; pourquoi l’Occident a-t-il connu une expansion économique sans précédent ? C’est la découverte de la houille dans le sous-sol anglais qui en est responsable. Conclusion humoristique de Le Dorze : l’école est égalitaire, tout en préservant l’Ecole Alsacienne et l’école libre : « Personne dans mon jardin ».

Louis Moreau de Bellaing

 

 

 

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