Je tiens particulièrement à remercier les intervenants et les participants de cette journée au nom du CIPA, de ces moments passés à débattre ensemble sur un thème vraiment passionnant et d’une actualité dont la présence ne se dément pas.
Nous avons pu aujourd’hui aborder l’évolution des regards sur le corps : « corps propre et corps du monde, le hors soi », comme nous l’annonçait M.-L. Dimon dans son introduction, ainsi que les différentes approches le concernant.
Le corps est surtout celui qui ne se fait pas oublier, celui qui est contraint, le corps glorieux appartient dans l’histoire à la rédemption et à la sortie de la souffrance. Ainsi même le rire, le propre de l’homme, disait Aristote, ne pouvait se déployer sans contrainte alors que nous savons aujourd’hui à quel point il peut être libérateur et élément fort de rapprochement.
Le corps dans nos sociétés a toujours été un moyen de mettre en évidence la domination des uns sur les autres, que ce soit dans l’esclavage, les guerres avec la torture ou plus quotidiennement dans la relation des hommes avec les femmes, dans la soumission sexuelle ou sociale qui leur est toujours à bien des égards imposée : le corps des femmes, lieu de tous les fantasmes projetés et de toutes les séductions, apanage de la beauté, qui devait, doit toujours aujourd’hui, dans ce qui est le plus apparent, se plier aux diktats imposés par des vêtements qui le mettent en valeur en l’exposant ou qui le masquent en en voilant tout ou partie.
Ainsi avons-nous navigué du corps vivant au corps parlant, de la création à l’évolutionnisme, de l’évolutionnisme à l’essentialisme. Les paléoanthropologues nous disent aujourd’hui qu’il n’y a pas d’origine mais un commencement absolu à l’arrivée de l’homme sur terre, avec son corps et son cerveau tels que nous les habitons encore aujourd’hui. Tout était déjà là. La question reste ainsi posée : qu’en avons-nous fait ? Qu’en faisons-nous ? Qu’en ferons-nous ?
Ces approches concernant le corps sont comme nous l’avons vu, plurielles, et il n’est pas toujours aisé de les mettre en perspective du fait justement de cette diversité : ainsi le vertex de la psychanalyse conjugué à ceux offerts par l’anthropologie critique nous amène à considérer l’évolution des corps et ce que le politique allié, voire mésallié, aux idéologies et à l’économie de marché peut en faire.
D’autres champs de pensée travaillent cette thématique du corps avec leurs outils propres, ainsi la biologie, la neurologie, les découvertes récentes de la paléoanthropologie. Le « roc du biologique » s’ébranle de façon différente selon qu’il est abordé à la lumière des courants scientifiques qui en repensent la structure ou à celles des technologies visant la perfection dont les excès, nous l’avons vu, peuvent confiner à la destruction. La recherche de l’immortalité via la robotique et l’intelligence artificielle se développe sous l’égide des mouvements transhumanistes et libertaristes proposant, à certains seulement, les autres resteront en chemin, avec les moyens technologiques d’aujourd’hui de modifier les fonctions de notre corps par des changements morphologiques qui visent au-delà de l’apparence. Le concept de « liberté morphologique » est né.
Qu’en sera-t-il alors de ces sujets plus ou moins bien reliés à leurs corps, aimant, souffrant, dans la jouissance ou dans la passion, animés par des affects que nous psychanalystes travaillons à faire mettre en mots et à relier à l’être en soi et aux autres ? Comment vont-ils se structurer avec les nouveaux modèles qui s’imposent brutalement ou s’infiltrent insidieusement, remettant en question les notions de fraternité et de solidarité, au nom d’une liberté individuelle revendiquée dans certains mouvements politiques américains comme seul fondement de la société, la priorité du collectif étant rejetée au profit d’un individualisme affirmé ?
Comment l’amour entre les humains va-t-il traverser ces changements ? Avec quelles forces de résistances et de créativité ? Quelle en sera la nature des liens ?
Aimer aujourd’hui ? sera ainsi l’objet de nos prochaines Rencontres-débat du 21 novembre 2015 qui fêteront dans le même temps les trente ans du CIPA.