Le titre de notre ouvrage Sortir de la masse ?, et son côté interrogatif marquent la perplexité dans laquelle nous nous trouvons face aux métamorphoses de notre société. Celles-ci contraignent à un arrachement aux traditions et à un renversement des repères modifiant ainsi la matrice ontologique et sociale. Ce titre symbolise aussi la naissance à l’existence de l’individu devenant sujet, en se séparant du corps de la mère par les expériences sensorielles et s’individuant par les processus d’identification. Cet ouvrage est le fruit de deux Rencontres-débat, La Masse, le Groupe, la Singularité (novembre 2012) et Ordres et Désordres du sexuel (novembre 2013). Il est constitué par des apports pluridisciplinaires et les auteurs ouvrent un vif débat épistémologique fait de controverses et de rencontres proposant ainsi un nouvel éclairage aux problèmes brulants de notre société.
Nous avons construit notre réflexion d’abord sur la question de la masse puis sur celle du sexuel, afin de mieux saisir les régressions, les évolutions, les répétitions et les transformations individuelles et collectives aux confins d’un travail de subjectivation et de culture. Toutefois, les conflits, parfois féroces entre le moi et le sexuel, dès la naissance de la vie psychique, viendront témoigner de la précocité du sexuel dans le moi. Aussi, dans la continuité de Freud, nous prenons en compte cette courroie de transmission qu’est la psychologie individuelle d’emblée et simultanément la psychologie sociale. C’est penser la masse en soi, en différenciant l’individuel et le collectif, tâche qui s’impose à chacun, toujours à accomplir pour mieux appréhender le monde et ses significations.
Monique Selz met en perspective les textes fondamentaux de Freud qui s’est toujours intéressé aux phénomènes collectifs, à la culture, aux mythes et aux tragédies. Elle explore l’hypothèse de Freud sur la « psyché de masse », en insistant aussi sur la question du meneur qui laisse de côté son caractère fondamental de masse. Freud dégage ainsi l’analyse du moi de la masse en rendant compte des mécanismes individuels : identification, suggestion et intensification des affects. Il attribue à l’idéal du moi un caractère individuel et social, relais de transmission d’un groupe social, d’une nation. Ceci se fait au prix d’un renoncement de l’individu à son propre idéal du moi au profit du meneur, objet qu’il revêt alors de sa toute puissance. Freud a été visionnaire des masses avec meneur du XXe siècle, celles des totalitarismes : fasciste, nazi et stalinien. Si aujourd’hui, les masses contemporaines sont sans meneur spirituel, ce qu’ont révélé les Révolutions arabes, les Indignés d’Israël et d’Europe. Néanmoins, ce qui se dégage de l’hypermodernité, c’est l’homme de masse. Il fait coïncider ses forces pulsionnelles avec celle du pouvoir intouchable de l’économie du Marché et il intériorise le plus souvent des objets dans son moi sur le mode de l’incorporation, ce qui est le plus aliénant. L’objet est alors fixé, non intégré dans le moi, non modifiable et l’imago fonctionne alors « comme une idole interne d’où la force d’attraction que peut présenter un gourou, un chef quel qu’il soit, imposant ses idées et ses façons de penser et de faire. »
Or Monique Selz, en se référant à Anne Denis, incite à un débat sur la présence de la libido ou non dans la masse, ainsi « le primat de la masse s’opposerait-il au primat de la sexualité, la relation de masse faisant suite à une relation d’identification originaire anérotique, non libidinalisée qui conduirait donc non à l’introjection mais à l’incorporation. » Dans la masse, le rapport à l’objet est incorporé, avalé, et l’incorporation se substitue à la relation libidinale : Eros est donc absent !
Pour Freud, dit Monique Selz, l’union qui fait la force de la masse ne reposerait pas alors sur Eros puisque l’identification, qui se produit entre les membres de la masse, serait une formation réactionnelle contre l’hostilité et la rivalité, une défense contre ses propres pulsions agressives. De sorte, qu’à la moindre occasion, par exemple, la perte de sa cohésion, la masse est susceptible de libérer haine et destructivité.
En reconnaissant la compacité de la masse qui met en mouvement le monde des signes, Elias Canetti s’oppose à Freud dans sa conception de la masse. Freud s’est intéressé à repérer ce que le groupe fait subir à l’individu pour le transformer dans la masse. Canetti étudie la masse de l’intérieur, c’est une conception de la masse faite d’énergie exponentielle, d’instincts et d’éprouvés. Il s’agit d’une masse dépouillée des significations d’autrefois. Nous pourrions dire ici que les théoriciens de l’archaïque dans une extension freudiennes se sont rapprochés de ce monde des signes. Cette conception de Canetti apparaît après la deuxième guerre mondiale et la Shoah. Elle montre la faillite du Moi issu des Lumières et dévoile les phénomènes de masse au sein de l’individu qui tentent d’abolir l’écart entre le dedans et le dehors. Canetti [1]y voit l’essence du capitalisme avec la multitude de masses qu’il crée, mais aussi, le fait qu’il peut tout récupérer, tout inclure, abolir les frontières et les codes grâce à la domination de la science et de la technique, comme imposer la prééminence du modèle logico-mathématique. La masse constitue alors un système sans manque ne laissant rien à l’extérieur qui assigne les individus aux sensations les plus primitives, à l’absorption et au rejet du monde, aux affects d’amour et de haine sans médiation possible. Le fondement de la masse est sa substance instinctivo-archaïque, faite d’éléments globalisants, de signes, sous lesquels se cache le signifiant. Signe et signifiant forment un réseau en tant que circuit fermé et captent les particules qu’ils libèrent.
Ces phénomènes de masse, tant du côté de la puissance paternelle que de la puissance maternelle et de la masse en soi, inscrivent les masses dans l’histoire des sociétés et des individus. La crise de notre société de consommation rend ainsi de plus en plus visible les désaffiliations, les processus de déliaisons et de désappartenance pouvant conduire l’individu à de fortes adhésions venant de l’extérieur comme de lui-même lorsqu’il s’accapare le monde pour enfler « son ego ». Selon Georges Zimra, il s’agit alors de la
« Masse moïque » dont l’hyper-individualisme constitue actuellement la forme aboutie des masses. En s’interrogeant sur l’autonomie de l’homme dans les sociétés post-totalitaires qui ne l’ont pensé que dans le foyer rétréci d’un nombrilisme narcissique, Georges Zimra montre d’une part, l’émancipation de l’homme qui a fait de lui un sujet du droit et des lois qu’il a proclamées et d’autre part, les écueils de cette autonomie qui fait de lui un individu vivant dans l’illusion d’être sans dette, sans ascendants ni descendants, de toutes les cultures et d’aucune, sans histoire ni mémoire. Cet individu est d’ici et d’ailleurs, ne ressemble à personne, mais identique à tout le monde, ce qui favorise sa soumission à la puissance de l’opinion, son abdication à tout désir et toute singularité en lui, se conformant ainsi à la loi du plus grand nombre. Si depuis la Révolution française, le pouvoir politique ne réside plus dans le corps du roi visible et invisible, il sera issu alors de l’atomisation de ce corps en singularités plurielles. A travers la question du corps et le passage de l’image à l’icône retraçant les enjeux théologico-politiques, Georges Zimra permet de saisir la conception de l’incarnation du pouvoir, les maladies de l’incarnation, c’est-à-dire des pathologies du visible, au règne du visible à l’oubli de l’invisible. Par exemple, le corps du leader totalitaire ne tient pas sa légitimité de l’Autre, mais il fait de l’Autre la figure démétaphorisée de l’Un, passant de l’incarnation à ce que Soljenitsyne nomme l’egocrate. Les masses ont ainsi abouti à la figure totalitaire du führer, puis en Russie à l’egocrate et dans l’hyper libéralisme, il s’agit de la masse qui autonomise le moi avec l’illusion d’en dégager un moi autonome.
Sur cette question des devenirs des masses, Emmanuel Diet définit plusieurs modalités qui prendront en charge l’Hilflosigkeit, [2]le modèle organisé par le lien, celui par l’emprise et le modèle organisé par la logique technologique. Il s’appuie alors sur la notion de groupe qui permet la rencontre du sujet avec les forces d’opposition de la masse. Cependant le moi n’est pas simplement débordé par un inconscient pulsionnel qui lui échappe, il n’existe que par et dans les liens qui lui préexistent dont il émerge en s’individuant. Or dans l’hypermodernité libérale, la crise des organisateurs est majeure, crise des espaces, des processus et fonctions intermédiaires qui est sans doute l’origine essentielle de son malêtre succédant au malaise dans la culture. Dans le prolongement de la pensée théorique de René Kaës, Emmanuel Diet situe le malêtre dans un vécu qui ne renvoie pas simplement aux conflictualités du désir et aux limites que rencontre sa réalisation, mais aux conditions même de la possible existence de la subjectivité. Il y a donc une priorité anthropologique de reconstruire un espace politique suffisamment fiable et un discours de l’ensemble préservant les conditions d’existence du Je, mais aussi de penser les destins d’Eros et de Thanatos dans la société et la civilisation sans effacer la prégnance de la réalité extérieure.
A l’aune de l’évolution des sociétés, l’état familial s’est modifié, le meneur n’est plus l’unique et avec les avancées de la Démocratie, le père est devenu plusieurs. Il est exposé à la paternité de contact, pris dans un va et vient entre le contact et l’esprit, contraint de s’incarner en tant que responsable de ses œuvres et de ses limites. Ce n’est donc plus le père dominant du lien social, mais ce frère, ce semblable en résonance avec ses émotions, ses affects soumis à la passion des pères, à l’abîme de l’impuissance et de la castration. C’est par la notion du groupe familial qu’Anne-Lise Diet aborde la question de la masse, sous un vertex qui explicite la notion de « masse incestuelle » à partir du film Festen. Ici le lien au sein du groupe familial, c’est l’inceste dans sa version consciente et inconsciente qui produit des effets de massification sur ce groupe. L’effort du groupe est de se maintenir dans un semblant de civilisation jusqu’au dévoilement de l’inceste par la violence de l’interprétation d’une parole pleine.
Dans la continuité d’une approche clinique de la masse, lorsque le transfert/contre transfert de certaines cures analytiques se situe aux limites de l’analysabilité, en d’autres termes d’une masse à deux, Michel Gad Wolkowicz précise que le travail thérapeutique de l’analyste avec son patient exige qu’il soit toujours en contact auto-analytique avec les zones les plus obscures de sa propre vie psychique. L’analyste s’appuie sur son contre-transfert pour écouter l’analysant qui, par la parole, ouvre la boîte de pandore de la signifiance, inséparable de la corporéité. L’expérience du langage s’appuie aussi sur le silence qui met l’étranger dans l’intime. Ceci produit le déplacement du dire par rapport à lui-même, imposant une rupture au transfert en masse. Il n’y a pas de décentrement sans une fracture d’avec l’unique en soi. L’analyste, adossé à la culture, soutient la dissymétrie de son Moi avec celui de l’analysant pour sortir la relation transférentielle du pouvoir hypnotique de la masse. Selon Michel Wolkowicz, la violence a à voir avec un deuil impossible qui caractérise la masse, tant il est de l’ordre de celle-ci d’être une présence sans mémoire ni langage, une présence qui ne s’ouvre à aucune absence. Puis il précise, « l’amour des certitudes nourrit la haine de la reconnaissance du transfert, la tentation de l’immortalité étant présente au sommeil hypnotique de la masse. »
Pour définir le passage de la première partie de l’ouvrage sur la question de la masse à la seconde partie sur le sexuel, nous nous sommes situés aux sources de la libido, en ce point paradoxal mimétique et différencié, masse et singularité. Dans l’extension de la théorie freudienne, Marie-Laure Dimon s’interroge sur la constitution du couple, l’un et l’autre dans ce monde de l’hyper individualisme qui rend plus visible leurs attentes : conserver au moi son autonomie et privilégier un contact, peau à peau. A l’instar de Didier Anzieu, elle pense que vivre en couple révèle un besoin d’étayage des fonctions psychiques sur un objet primordial, ce qui nécessite aussi la mise en travail du fantasme d’auto-engendrement pour sortir d’une masse à deux, illusion fondatrice de la rencontre amoureuse. La désillusion amoureuse autre phase du couple, douloureuse cette fois-ci, fait perdre à chacun des partenaires bien des repères identificatoires. Il s’agira pour l’être existé de garantir sa place afin qu’un Je s’adresse à un autre Je pour poser ainsi dans le registre de l’avoir une cause de sa souffrance.
Si le fantasme d’auto-engendrement met en mouvement une dynamique soi/monde bien plus puissante que celle sujet/objet, l’être existé trouve néanmoins sa substance dans la mise en forme par la mère porte-parole des éléments archaïques globalisants : engrammes pictographiques, signifiants clés. L’intégration du fantasme d’auto-engendrement, affirmation de soi – affirmation de l’objet, dépend de ce processus de la signifiance. D’une part, « l’existé » résulte de cet éprouvé de toute puissance narcissique, il est ce point d’ancrage en soi qui est aussi l’espace du même, celui d’un plaisir qui se donne à la psyché comme reflet d’elle-même. D’autre part, « l’existé » dépend du ratage de cette source de plaisir propice à laisser des traces dans des histoires libidinales qui ne concernent pas uniquement les potentialités psychotiques. La psyché s’origine donc chez l’infans de cette double inscription d’auto-engendrement et de rencontre avec l’autre désirant. Il s’agit de penser la pulsion pour échapper au risque de désinvestissement.
Comme le montre la crise du couple, prise dans les rets du filet du monde extérieur, l’hypermodernité confronte les partenaires du couple à la question de l’originaire dans les liens sociaux. Piera Aulagnier précise que la matrice du lien social, c’est la rencontre bouche-sein. En effet, les liens sociaux sont tributaires de l’émergence suscitée par les profondes mutations et ruptures de notre société néo-libérale. Ces liens ne cessent alors de se morceler pour intégrer les nouvelles individualités et les nouveaux couples émergents, les nouveaux modes de vie… Comment notre société va-t-elle absorber ces étrangetés en sachant que les sexualités sont multiples, voire ambiguës ? Selon Michel Brouta, ce qui fait prototype dans l’actuel, c’est la configuration traumatique de l’étayage.
Emmanuel Diet rappelle, que, selon René Kaës, le malaise dans la culture ne serait plus entre la pulsionnalité et les exigences de renoncement civilisationnel, mais il se trouve dans la forme archaïque du Malêtre. Ce qui s’imposent, ce sont des enjeux narcissiques et identitaires dans un courant ultra libéralisé où « la défaillance des métacadres symboliques et la crise des métacadres culturels défait la famille traditionnelle, la religion, l’école, l’Etat de droit. » Pour Emmanuel Diet, « La fin du monde ancien organisé par l’ordre « patriarcal » oblige à reconsidérer l’organisation symbolique, réelle et imaginaire des relations entre les sexes, de leur définition et de leur assignation », ce qui l’amène à faire une critique radicale et personnelle de la problématique du genre et de l’idéologie des théories Queer. Il oppose les champs : psychanalytique et politique du genre, ce qui laisse apparaitre un important désordre issu de leurs incompatibilités.
Traversée par différents courants de pensées bien souvent contradictoires, voire divergents, notre société démocratique, travaillée par l’égalité, a de plus en plus à faire avec l’émergence. Ces pensées viennent saisir l’autre semblable dans l’acculturation, donnant ainsi une place princeps au fantasme d’auto-engendrement pour tenter de s’y arrimer pour le meilleur comme pour le pire quand ce fantasme n’est que le produit d’auto-anéantisation. Cependant, la reconnaissance d’une société « différentielle » permet de soulever des problèmes qui, autrefois, auraient été tabous et ainsi de lutter pour qu’à l’intérieur d’une société, des citoyens ne deviennent pas les figures de l’abjection comme d’autres ont été les figures de l’oppression.
Puis, nous pensons le sexuel à partir de la séparation entre la sexualité et la procréation par le contrôle des naissances, mais aussi les nouvelles problématiques de la filiation dans le cadre de l’adoption par exemple de l’adoption homoparentale, de la PMA (Procréation Médicalement Assistée) et la GPA, (Grossesse Pour Autrui) avec la congélation des embryons et des ovules.
Sylvie Faure Pragier se situe en tant que psychanalyste dans une clinique novatrice face à la multitude de modalités familiales. Elle fait part des différents travaux sur les enfants issus de familles homoparentales. Tel, l’article de Diane Ehrensaft qui explicite son mode de travail avec ces enfants sur la différence, l’appartenance, l’identité et propose aussi la mise en place d’une rêverie familiale afin d’intégrer le donneur celui qu’elle nomme « l’autre biologique. » Sylvie Faure Pragier s’interroge à partir de ces enfants sur le symbolique. Faut-il que le symbolique soit réel ? « La scène originaire, le coït procréateur a été jusqu’à aujourd’hui le fantasme organisateur de la psyché. D’autres représentations pourraient-elles avoir la même fonction sans risquer la désymbolisation ? ». Elle propose alors une représentation structurante pour l’enfant : qu’il apprenne que « ses parents voulait l’avoir si intensément qu’ils ont fait des efforts considérables ». Sylvie Faure Pragier avance alors un nouveau fantasme originaire qu’être « un enfant du désir d’enfant ».
Penser aussi le sexuel pour Françoise Sironi, c’est poser la question Transidentitaire et élaborer des pratiques cliniques qui ne risquent pas de produire de la maltraitance en discréditant la vérité subjective du sujet. En effet, dit-elle « les contre-transferts, anxieux, effrayés ou haineux se font alors gardien des postulats essentialistes, de l’assignation des rôles sociaux, féminin, masculin, en fonction du sexe biologique, homme, femme. » L’ethnopsychiatrie propose une autre approche en déconstruisant les catégories avec lesquelles nous pensons dans les sociétés occidentales. Cette pratique va à la rencontre des métamorphoses demeurées muettes chez des êtres qui ont été soumis à de graves changements traumatiques (tortures, migrations…). Selon Françoise Sironi, le travail qui se fait par la recherche-action permet d’aborder les nouveaux champs théorico-cliniques qui émergent et ainsi de dégager différents axes de travail : l’exploration de la vie psychique du genre, l’ouverture à l’acceptation de la multiplicité en soi et à la multiplicité des agencements possibles. Tout ce qui réduit à l’un, à l’unicité, fige ces sujets, les dévitalise. Ils sont inscrits dans la multiplicité « le groupe, en eux, n’existe pas ». A la place, on y trouve des singularités démultipliées, il s’agit pour ces sujets de « la construction d’un soi différent de toutes influences provenant des mondes parfois radicalement hétérogènes. » Ce travail psychique est sous-tendu par un processus de désidentification. Libérateur et dépressiogène, ce travail ne vient-il pas interroger en chacun la question de l’être exister auquel les nouvelles formes de démocratie confrontent ?
Avec tous ces bouleversements anthropologique et psychique, c’est sur la question du droit que nous terminons cet ouvrage. En France, le droit s’est rapproché du citoyen, il se consacre plus aux droits particuliers des minorités qui revendiquent des droits spécifiques. De fait, les principes démocratiques d’égalité et de liberté ont déconstruit les rapports sociaux instaurés depuis des siècles sur le mode hiérarchique – domination/soumission/dépendance – qui, par là-même, ont dominé légitimement la féminité. La notion d’égalité, en d’autres termes, de loi partagée commune à tous, est le pivot des civilisations occidentales et avec elle, la notion de consentement, de respect de chacun des partenaires sexuels. En évoquant les progrès de la biotechnologie et le déploiement d’une économie de marché, Natalie Felzenszwalbe, précise que ces progrès ont produit une rupture aux fondements de la pensée juridique établie sur le droit romain. Nous sommes passés du monisme, corps/personne, au droit pour la personne de disposer de son corps. Le corps est devenu un bien propre, il peut être traité comme une chose, comme une marchandise par soi-même ou par d’autres, s’il y a consentement entre adultes. Le sujet de droit pourrait donc se mouvoir dans un espace illimité avec le risque, dit Natalie Felzenszwalbe, que le droit devienne une « chambre d’enregistrement ».
Au terme de ce parcours, si l’origine est à la masse, nous assistons alors à un renversement de la masse freudienne « ce qui commence par le père se termine dans la masse ». Or l’idéologie de la société de consommation est fondée sur les perceptions et entre en résonance avec la singularité l’être, le Je. Nous savons que le social, c’est-à-dire le sexuel, se manifeste très précocement dans la constitution du Je. Aussi, individuellement et collectivement avec les autres, le Je peut concevoir de modifier « en retour l’institué, en élaborant l’instituant ». Ce qui donne une place aux significations pour penser en tant qu’individu le social même, si c’est conflictuel.
Dans sa conclusion, Christine Gioja Brunerie a rassemblé les différents vertex qui composent et donnent à cet ouvrage sa substance. Nous sommes engagés, dit-elle, dans un monde en auto-engendrement permanent dont il convient de découvrir des formes d’accordages et de désaccordages.
Marie-Laure Dimon
[1] En référence à l’article d’Éric Leroy du Cardonnoy « Canetti une résistance modèle à Freud », Savoirs et clinique 2005/1 (N°6), coll. Transferts littéraires, Toulouse, Eres, Cairn.info DOI : 10.397/sc.006.007
[2] Hilflosigkeit dans la théorie freudienne, c’est La notion de « désaide » qui peut se définir comme un état de détresse, prototype des situations traumatiques, résultant de l’incapacité à satisfaire ses besoins sans le secours de l’objet (J. Laplanche et J.-B. Pontalis, 1967).