M.B. Voici la première séquence des vidéos qui seront faites pour la conférence Inconscient Art et Société.
L’intervention que vous allez voir aujourd’hui s’intitule : Art brut et processus de création, Quelle place pour les regardeurs ?
Je remercie Pascal Roman d’avoir accepté cette invitation, et surtout la réalisation de cette vidéo par skype.
Je rappelle que Pascal Roman est professeur de psychologie clinique psychopathologie, psychanalyse à l’université de Lausanne. Il est président de la société Rorchach
Son expérience clinique est assez vaste puisqu’il est responsable de consultations pour enfants et adolescents, directeur de l’observatoire de la maltraitance envers les enfants et encore certainement bien d’autres activités.
Pour ce qui nous occupe ici aujourd’hui des préoccupations sur la créativité, à coté de ses travaux sur les traumas et l’adolescence, elles remontent à 2007 avec figure du négatif et expérience créatrice en 2013. Traumatisme et reste à symboliser : une contrainte à créer en 2014. Evoquer l’art brut ,un laboratoire pour une première approche des concepts de la psychanalyse avec Celoine Sayegh et Maude Melchiore et enfin l’art brut un observatoire pour les processus de création avec Vincent Capt, Sarha Lombardi, Jérome Meizozen 2017
C’est en 2019 qu’il va publier un livre qui s’appelle Art brut et Psychanalyse : exploration du processus de création.
Ce dernier ouvrage de confrontation Psychanalyse et Art brut a particulièrement attiré mon attention dans le fait qu’une telle possibilité de formulation avait un aspect repérable dans une mouvance historique socio culturelle qui justement pose la question de la créativité.
En effet cette question ne se posait pas avant 1950 .
Précédemment la psychanalyse et ses concepts ne prenaient pas en compte cette expression de la folie. Il faut attendre Winnicott et les travaux ultérieurs avec les notions de médiation, d’entourage, d’enveloppe, d’altérité pour avoir les outils conceptuels de l’approche.
De même du coté de l’art, il fallait que Paul Klee poursuive ses recherches sur la démarche artistique, pour que l’expression de la folie entre dans la dimension artistique en 1922 avec Prinzhorn et que Dubuffet dénomme l’Art Brut.
Poursuivant vos recherches cette fois dans le questionnement art brut créativité, vous proposez l’étude par la voie des enjeux dialogiques entre psychanalyse et sémiotique.
Avant d’aller plus loin, j’aimerais vous entendre préciser la notion de dialogisme et comment depuis l’étude originelle à partir de la littérature, elle a pu ouvrir pour vous vers une approche des arts plastiques.
Ma deuxième question portera sur le choix des deux champs interrogés : La psychanalyse et la sémiotique.
Là encore il semble que ce soit par la langue que soit abordé la sémiotique en Europe, à moins que vous vous soyez avancé vers Peirce ou la sémiologie de l’image pour conduire ce rapprochement. Pouvez vous nous éclairer avant d’aborder le contenu de votre intervention ?
Je vous donne la parole :
P.R. Merci beaucoup et merci de cette invitation dans un format un peu différent de ce qu’on a l’habitude de faire dans le cadre de colloques.
Alors peut être dire d’abord que cette question de l’approche dialogique, elle m’est venue en fait d’un artiste, d’un créateur, et en particulier de la proposition de Marcel Duchamp, lorsqu’il met en évidence la place du regardeur. Le regardeur étant celui qui contribue à l’existence de l’œuvre d’art. Marcel Duchamp n’est pas le seul a apporter cette proposition, Bacon l’a dit aussi à sa manière. Je me suis intéressé au modèle théorique qui permettait de penser cette dimension de l’art brut. Dialogique entre deux espaces de sens. Donc bien sûr, il y a le dialogique de Bakhtine qui, comme vous l’avez rappelé prend plutôt appui sur la dimension de la littérature, et puis il y a les différents apports de Pierce plus directement centrés sur l’apport sémiotique et récemment l’approche de Umberto Eco.
Alors pourquoi avoir fait le choix de la mise en perspective entre la psychanalyse et la sémiotique ? C’est peut être pour essayer d’explorer par un détour, en quelque sorte, par une autre voie, la manière dont on pourrait comprendre ce qui se joue entre le créateur, l’œuvre de création et celui ou celle qui en est le témoin.
Il semble que Pierce dans cette formulation, que moi je trouve très lumineuse lorsqu’il parle de la place de l’interprétant dans la rencontre avec le signe, nous permette de nous rapprocher un peu de cette rencontre entre l’œuvre de création et celui qui en est le témoin.
M.B. Dans cette approche du processus de création, comment cette mise en perspective peut induire ou questionner les notions de sensibilité à l’œuvre, sur les notions de l’esthétique de l’œuvre, sur son impact dans la société, dans la collectivité ?
P.R. C’est une très vaste question que vous soulevez là.
Moi je suis attaché a une formulation que j’ai développée dans mon livre dans lequel je parle de la rencontre sensible de l’œuvre. Je pense effectivement que l’œuvre procède d’une insertion culturelle dans un espace et un temps donné, et on parlera tout à l’heure de l’art brut qui constitue d’une certaine façon une forme de résistance à cet égard. L’œuvre a effectivement une inscription culturelle, mais est aussi un vecteur sensible dans la rencontre avec l’œuvre et celui qui en est le témoin.
Au fond l’idée, c’est alors de retrouver alors la dimension de clinicien, d’être en mesure de rencontrer comme dans une démarche clinique. C’est à dire dans une démarche qui met en travail les échos de l’œuvre avec nos propres processus psychiques, avec la manière dont nous sommes affectés par la rencontre de l’œuvre. Je pense effectivement que la dimension de l’affect peut être considérée comme un passeur en quelque sorte dans cette rencontre de l’œuvre.
M.B. Acceptez vous de penser que l’œuvre est quelque chose de producteur d’une dynamique qui atteint à la fois le créateur ,le créateur étant à la fois d’un coté et de l’autre de l’œuvre , le créateur étant à la fois celui qui la produit et qui la reçoit.
P.R. Oui je pense que c’est une formulation qui me convient assez bien, tout à fait compatible avec cette approche sémiotique.
Si on prend Umberto Eco je peux le citer, il dit :
« Toute œuvre d’art, alors qu’elle est une forme achevée et close dans sa perfection, exactement calibrée, est ouverte au moins qu’elle peut être interprétée de différentes façons sans que son ultime singularité soit altérée. »
Donc on a bien d’une certaine façon, cette position de la création qui encadre l’œuvre d’une certaine manière.
M.B. Bon je vous remercie Monsieur Pascal Roman. Sur cette ouverture nous allons arrêter cette présentation.
J’espère qu’elle conduira nos auditeurs à compléter par la lecture des textes que vous trouverez en lien sur la newsletter, et qu’elle fournira l’occasion d’un dialogue.