Penser la psychothérapie transculturelle

 

 

Penser     la     psychothérapie     transculturelle

 

 

Voilà un défi qui s’est posé à moi alors que je ne m’y attendais pas. Ceci par l’impossibilité de réaliser le projet de rapporter l’expérience d’une patiente marocaine longtemps soignée par les services de santé en France, ce qui constituait la base de cette proposition. Cette patiente que j’ai croisé une fois, âgée maintenant d’une cinquantaine d’année, souhaitait témoigner d’un parcours ,le sien. Il débutait par une enfance difficile au Maroc, elle se dit frappée, humiliée par sa mère qui la punissait en l’enfermant dans la cave. Qualifiée d’enfant maudite, elle aurait subi des sévices, elle évoque que des piments lui étaient enfoncés dans le vagin, des viols . Mariée au Maroc à 13 ans elle arrive en France après la naissance d’une fille. Rapidement dans la région parisienne sa situation évolue, elle parle de prostitution de consommation de drogue, premières rencontres avec les services de soins , elle confie sa fille à une nourrice, puis se sépare de ce mari. Mariée une nouvelle fois elle a un second  enfant, enfin un fils. Elle divorcera à nouveau, le mari souhaitant retourner dans son pays d’origine.   Un sauveur l’emmène en province, se marie avec elle pour obtenir des papiers. Elle devient sous le joug de cet homme maltraitant, père de son troisième enfant, recluse dans la campagne. Elle consulte régulièrement la psychiatrie sectorisée, est diagnostiquée trouble dépressif, avec un parcours de plusieurs années émaillées d’hospitalisations. Elle se retrouve vieillissante sans perspectives. Elle souhaite maintenant non pas pour elle, mais afin que cela n’arrive pas à d’autres, témoigner d’une vie où les soins, ponctués de nombreuses prises en charge de diverses expériences de psychothérapie de chimiothérapie, ont occupé une place importante. J’avais espéré de ce récit une base de réflexion pour ce thème, il me faudra faire sans.

Dans le fond cette petite anecdote est aussi un peu celle des difficultés que nous pouvons rencontrer dans la relation. Il m’avait semblé que nous nous étions compris, que l’institution où je travaille était disponible, pourtant ne se dessine aucun chemin, depuis plusieurs mois tout semble s’enliser, et la date de mon exposé est arrivée. C’est la circonstance qui fait évoquer le dossier, contexte où le questionnement sur la dimension culturelle rouvre la question d’un non suivi.

Ce qui pose une première interrogation, et une des plus délicates me semble –t-il : la dose de militantisme nécessaire ,et nous verrons que le thérapeute doit faire preuve aussi d’un positionnement vis à vis de son empathie, vis à vis de sa culture, et peut être aussi vis à vis de lui-même .

Ainsi se retravaillent les questions sur une transformation à laquelle il n’est pas possible d’ échapper lorsque se met en jeu une relation à l’autre qui va justement la solliciter.

Ce propos s’étaie sur la situation clinique précédente bien que non exploitée, c’est dire que j’ai en tête, en référence, une situation de psychothérapie basique, d’ une rencontre de deux individus, dans le cadre d’une psychothérapie, avec les repères de l ‘analyse comme vecteur. Nous verrons que ces repères se trouveront mis en question dans la situation qui nous occupe.

Commençons par les fondements :A partir d’un rapport inter-humain s’organise une dialectique double : individu/ individu, puis individu /société. Elles fondent l’élaboration symbolique qui vient organiser ce rapport. Il se dégage ainsi des ensembles de symboles culturels (qui incluent ceux de la connaissance) ainsi que des ensembles : symboles religieux et politiques qui organisent l’exercice des actions du pouvoir sur les populations , celles par la force, par l’économie.

La notion de culture 

Le processus de culture est universel et propre à l’humanité. Ce qui peut s’illustrer par la mise en exergue d’une opposition nature culture telle que la pose Levi Strauss. Multiculturalisme, trouvant alors son pendant dans biodiversité. De cette opposition nous voyons quelques questionnements.

Le fait est que ce processus de culture est une facette de l’évolution d’une relation inter-individuelle, commune à un ensemble plus ou moins nombreux d’individus.

La psychanalyse a pu contribuer à l’élaboration de son processus, Freud en propose une définition , Nathalie Salztman , nous montre la psychanalyse comme voie d’accès à cette culture dans un processus à la fois d’enrichissement ,mais aussi mortifère par certains cotés, puisque s’alimentant à l’aune de la pulsion de mort.

Si nous restons de ce coté, il est un fait qu’elle présente une dimension diachronique avec la marque temporelle. Les changements ou les variations qu’elle présente ne se manifestant pas localement par un processus de progression, cela une vision globale pourrait le laisser envisager sous forme d’accumulation de connaissances, mais en soi celles ci ne représentent qu’une culture qui serait à venir, peut-on parler de processus de civilisation ?. Internet en constituerait un maillon.

C’est le fait même de cette diachronie qui origine aussi  sa localisation, ainsi la limite du monde connu a-t-elle varié au rythme des saisons, des guerres, des marchés, des transports et des communications . Ainsi la culture se confondant au monde, aux mondes, celui ci s’est trouvé décrit en autant de populations.

Un des aspects descriptifs s’appelle ethnologie, qui a pu reprendre à son compte un moment et se superposer à la dimension race dans un souci de classification descriptive taxonomique qui visait d’établir un certain ordre dans la compréhension des nouveautés du monde.

Dans cet ordre d’idées des populations plus ou moins nombreuses se sont vu l’objet d’intérêts, avec peut être une attention supplémentaire pour les populations les plus isolées et les moins nombreuses qui constituaient semble –il un terrain idéal pour les spéculations scientifiques, en particulier au moment des théories évolutives.

De ces études ethnologiques sont issues un autre courant anthropologique représenté d’abord par le fonctionnalisme, puis le culturalisme. Ainsi se dégageait une entité culturelle en situation de formater la personnalité des individus se développant dans son espace. La notion de personnalité de base est censée représenter un relai individuel culturel.

Deux modulations sont cependant envisagées ; la variation individuelle à cette possibilité de formatage, et son caractère pluri dynamique, celui de la culture elle même en mouvement et celui d’un sujet dont la vitesse d’évolution n’est pas toujours la même.

Une dimension est aussi a ajouter : dans le chemin qui va de l’ensemble culturel à l’individu interviennent à un certain degré des sous ensembles. Ce champ introduit aussi la dimension synchronique du processus d’enculturation où intervient le plan du rapport social.

Arrêtons nous un moment à ce niveau de dialectique

Sous la plume de H. Pradelles voyons l’évocation de Devereux sur la psychothérapie d’un indien des plaines et les éléments saillants qu’il évoque : la proposition est celle d’un counseling, d’une aide socio-psychologique dans une recherche sur le rôle des fonctions culturelles dans l’étiologie par une institution de santé militaire..

Dès le départ se retrouve une communauté d’intérêt partagé pour les rêves, du coté la culture indienne, comme de celui du travail psychanalytique.

L’écart est aussi posé des cultures respectives.

Ce dont est convaincu Devereux est que l’inconscient est partageable, fond commun ?

Restaurer le fonctionnement normal de la personnalité indienne présuppose de la part du thérapeute un savoir du thérapeute sur la culture du patient comme levier thérapeutique.

Pradelles conclut : Quand l’Autre est supposé partageable, la thérapie qui a pour ressort la position subjective de la privation (les identifications)est interculturelle. Quand l’Autre est tenu pour non partageable, la thérapie qui s’appuie sur la position subjective de la castration est transculturelle.

Rendant la parole à Devereux, l’inconscient est partageable entre plusieurs sujets appartenant à une même culture, mais alors il convient de séparer un inconscient ethnique avec ses normes culturelles, et un inconscient idio-syncrasique, où l’interdit de l’inceste préside aux conflits oedipiens. C’est sur cette base que le complémentarisme s’inscrit.

Sur ce point Neuberger souligne que Devereux était un farouche défenseur du droit à disposer d’une identité personnelle, avec le fait que « la renonciation ou le déguisement de l’identité (personnelle) sont la défense de choix contre la destruction, parce que c’est la connaissance de son identité qui révèle la vulnérabilité de celui dont on connaît l’identité ». Pas seulement deux inconscients, mais aussi deux identités avec ce qui peut s’envisager comme révélateur d’un faux self Winnicottien comme l’introduit A. Le Dorze.

Ce que nous voyons ici dans la construction de la personnalité, c’est la dimension opérante entre l’angoisse, celle de l’Hilflosigkeit, et celle du trauma, et la dimension de sécurité.

Ainsi suivant A. Le Dorze se tournant vers R. Kaës pour évoquer le coté nous sécurisant du contrat culturel qui nécessite comme l’avait théorisé Freud le renoncement à la réalisation directe de certaines pulsions, ce qui autorise l’autoconservation pour le sujet individuel, et pour le groupe auquel il appartient. Ce qui laisse entier la question de la consistance des identifications proposées. Voyons des exemples :

L’article récent du monde (à propos des viols survenus à l’occasion d’une fête à Francfort) montre que ce n’est pas le changement géographique qui entraine l’abandon des incorporats culturels, et que ceci demande une autre temporalité.

Nous voyons une dimension de la culture que confirme la clinique, lorsqu’un individu est soustrait entièrement de son contexte culturel, il peut advenir une angoisse de confusion. Cette clinique est par exemple celle des Japonais en voyage à Paris, c’est aussi cette situation qui fut l’inspiration d’une artiste japonaise dans la réalisation d’une œuvre sur le thème du cocon.

D’un autre coté, lorsque la culture laisse persister l’angoisse, ou la douleur, ainsi que l’isolement d’un individu, nous observons qu’il va alors entamer une recherche qui peut le conduire vers d’autres horizons culturels pour un temps parfois. Il est de nombreux exemples en médecine.   Tout élément qui peut se ranger du coté traumatique, qui constitue la situation semble-il la plus fréquente actuellement de la psychothérapie transculturelle.

Pour l’instant nous sommes restés dans la perspective culture, ou acculturation, (rencontre de culture) mais Bastide en fait la remarque dans son article de l’encyclopédie (1968) :  la culture est une abstraction, ce sont des individus qui sont en contact . Ainsi la dimension sociale prime sur la dimension culture .

La religion, la spiritualité, les idéologies

Commençons par les sous-ensembles, l’un d’eux se constitue autour de la religion en ce sens qu’elle intervient pour une part plus ou moins importante dans la modulation du rapport à l’autre. Pourrait-on dire qu’une religion est une culture ? pas à en croire le fait que sont souvent associés plusieurs termes : judeo-chrétien , arabo-musulman etc .

Ainsi dans la rencontre, et nous le voyons lorsqu’elle se cadre sous le registre de psychothérapie, cette dimension intervient. Alors même que des dimensions culturelles ont pu permettre l’organisation d’un espace d’échange, le fait de communauté de non croyance ou de croyance laisse la dimension en suspens.

Ainsi une patiente ne savait pas jusqu’où elle pouvait se laisser aller auprès de moi à évoquer sa croyance chrétienne en dieu, ne sachant pas dit-elle mon appartenance. (ce qui ne dit pas du quel coté serait son dire.)

Ou tel autre qui fréquentait quotidiennement la messe en remerciement d’une réussite de sa fille ne me permettait aucun accès par cette voie vers les processus psychiques mis en place, même s’il s’agissait d’attendre simplement une autre configuration des processus déployés pour les travailler. Le fait qu’ils puissent s’inscrire dans un corpus culturel constituait un aspect important de fixation.

Ainsi une patiente musulmane qui n’osait présenter à ses enfants son nouveau compagnon, si elle laissait envisager la problématique familiale, ne disait mot sur le fait que cet homme n’était pas lui même musulman.

Pourtant lorsque ces questions sont abordées sous un angle plus général comme psychanalyse et religion, A Vannier n’hésite pas d’une formule comme : Elles se situent sur me même terrain. Ce qui ne veut pas dire qu’il s’y déroule les mêmes démarches.

Par exemple autour de la question du père, vis à vis de laquelle on pourra dire que Freud va sauver le père en le déconstruisant, et que la religion ,passion du père, si elle en fait le père de l’interdit ,c’est pour qu’il soit aussi celui de la demande d’amour . Ainsi la détresse, la souffrance se trouveront prises en compte dans des trajectoires différentes.

Par exemple la psychanalyse peut apparaitre comme une religion sans espoir, celle d’une articulation entre savoir et vérité, loin d’une passion identitaire, ou des explosifs linguistiques amis/ ennemis, vrai/faux .

Pourrait –on retenir ces propos de Lacan que les progrès de la connaissance ne s’accompagnent pas de la fin des croyances, et que la science est suspendue à l’idée de dieu ?

Si Féthi Benslama s’insurge de l’idée qu’il ait pu être désigné comme psychanalyste musulman , Il est pourtant des chrétiens , même religieux qui se disent psychanalystes, et il est fréquent d’interroger la psychanalyse sur des racines dans la judéité ?

A titre d’exemple de cette liaison ou déliaison je vous propose deux illustrations:

  • Sous la plume de  Julia Kristeva  je  trouve : se précise la découverte d’un inconscient amoureux constitué par les liens affectifs et/ou amoureux transgénérationnels et historiaux, préexistants à l’être parlant. Pour évoquer cet inconscient baroque au cœur de la révolution qui a su refonder la foi chrétienne en transmettant aux hommes et aux femmes des lumières un nouveau corps amoureux. Cet inconscient baroque qui se retrouverait aussi au cœur de la psychanalyse.
  • Dans les propos d’Idris, lorsqu’il parle de la religiosité dans l’islam et du décalage entre la loi des hommes et la loi symbolique basée sur l’altérité de dieu ?

Ainsi l’association internationale de psychiatrie traitant de ces questions sera-t-elle amenée à formuler des recommandations :

D’une   prise en considération de la religion du patient de ses croyances et pratiques, composantes essentielles parfois de son histoire psychiatrique.

Vers une compréhension de la religion et de la spiritualité dans leurs relations avec le diagnostic, l’étiologie, le suivi psychiatrique.

De centrer sur la personne l’approche de la religion et de la spiritualité.

D’un souci de travailler dans l’aide au bien être de son patient avec prise de conscience, respect et sensibilité aux gens qui veulent travailler avec lui avec ce potentiel d’un bénéfice de part et d’autre.

Cet objectif de centrer sur la personne constitue déjà me semble-t-il une difficulté dans la mesure où l’inter-relation peut susciter une dynamique créatrice portant interrogation. Ainsi l’éventualité d’une possible co-intervention même si elle se révèle possible, est parfois irréalisable. Elle nécessite un contexte plus général qui dépasse les individus concernés et se réfère d’avantage aux institués.

Les exemples de l’hôpital de Fann dans mon expérience en ce lieu en témoignent ainsi que les films réalisés par Collomb sur les marabouts locaux. D’autres propositions ont pu faire l’objet de critique selon le lieu où elle se sont placées.

La persistance de lieux de fous au Maroc aussi, alors que l’université marocaine forme à la psychiatrie montre parfois une coupure infranchissable. L’histoire du centre psychiatrique le Mausolée de Bouya Omar à 50 km de Marrakech montre qu’il aura fallu un an après la reconnaissance internationale pour voir fermer ce lieu. Ce que montre aussi en Normandie par exemple le recours toujours actuel aux rebouteux ou à l’univers sectaire. Tout ceci interroge une tolérance ou le temps pour la recherche de la frontière amélioration/ aggravation, et le socialement possible.

Le rapport social

Si la religion ou des corpus idéologiques ont un impact sur l’évolution de la culture, il est possible de s’interroger sur les apports et les freins qu’ils génèrent, l’organisation de ces systèmes symboliques et leurs rapports ne résument pas d’avantage les dimensions du rapport social que la fonction symbolique vient également structurer sur le mode des nominations, catégorisations ; ex :dominants :dominés, inclus, exclus dont relève l’organisation des rapports humains où déjà se trouve retravaillé les rapports « sociaux » du vivant.

O Douville parle de cette hétérogénéité des sujets et des places, ce qui fait lien entre les sujets d’une collectivité, et insiste sur l’écart de la notion de culture et de social . Partant des différents schémas conceptuels qui analysent ce lien.

Il esquisse ce qui ferait colle sociale ; contrainte intimant à chacun l’ordre de se lier au nom d’une définition pleine et fermée de la personne réduite alors à sa personnalité et à sa particularité ethnique, terrain propice aux études structuralistes.

Il envisage par un angle qu’il appelle désoeuvrement, inachèvement, qui rend possible pour chacun de prendre appui sur son incertitude, qui pourrait elle aussi être mise en commun.

Faut-il entendre par désoeuvrement chaque situation où un individu s’éprouve dans une irréductibilité qui ne lui permet plus de satisfaire aux exigences sociales, et qui cependant ne peux se passer d’un recours à l’autre.

Mais il arrive que la situation soit plus critique comme l’évoque A. Cherki. Lorsque les conflits de souveraineté dans la politique, la dévalorisation ou le déni d’un système par rapport à un autre entraine une explosion des garants symboliques pour un sujet. C’est le cas lorsque l’identité unique repose sur un déni, un mensonge vis à vis de l’histoire.

Ou encore , on peut envisager ici les catastrophes collectives soumises au silence, et qui agissent de fait comme traumatisme offrant un passé sans traces faisant exploser toutes les garanties symboliques. (Est-ce le cas des personnes qui se disent persécutées, d’une façon qu’il est pour nous impossible d’envisager et pour lesquels seuls preuves et multiplication des témoignages viennent nous aider à retrouver des repères.)

La fonction symbolique a partie liée avec le déploiement de l’historicité et l’extension de l’espace social. C’est d’ailleurs un des fondements d’une trame symbolique apte à assurer le matériau de la symbolisation. Faute de quoi. Nous nous retrouvons dans une situation de psychothérapie qui peut être celle de deux personnes porteuses de traumatismes non élaborés susceptibles d’entrer en résonance, ou plutôt de s’infiltrer de l’un à l’autre. Pourrait-on supposer que cette situation est de toute façon une constante, peut-on imaginer qu’elle soit féconde, à moins que le trauma soit commun bien que forclus dans les différentes cultures.

On voit ici que l’écart avec le social n’est pas un fait de désoeuvrement mais un fait de déni, ce qui est un peut différent, est-il l’objet d’une mise en commun ?

Nous sommes peut être ici dans un cas semblable à ce que décrit Jeanine Puget , lors des psychothérapies dans des pays où se déploie une violence d’état ,où elle évoque les notions de mondes superposés, et d’irruption dans l’espace analytique de ce qui a une haute charge traumatique. Les effets chez l’analyste sont marqués parfois par des excès d’interprétations secondaires à des altérations narcissiques, ou à des régressions à un stade sensoriel.

Il était intéressant ici de revoir les forces actives du social telles que Mauss les évoquait en montrant combien elles dépassaient les notions de psychologie collective, par l’existence de la notion de norme, l’importance du nombre des individus concernés.

La Langue

Nous voici à un autre niveau d’interférence compte tenu de la non correspondance entre les structures sociales et les structures linguistiques. en particulier par exemple au niveau de leur rythme d’évolution. La langue n’évolue nullement au rythme des mentalités, lesquelles elles mêmes changent moins vite que les lois. Si à l’intérieur même de la langue, le lexique n’évolue pas à la même vitesse que la grammaire, les mots et ce qu’ils véhiculent de contenu idéologique bougent.

Le recours à un interprète dans l’échange est lui même entaché de plusieurs biais dont par exemple l’attention portée au textuel parfois plus qu’à l’énoncé.

Ainsi dans la relation entre deux personnes de langues différentes, deux historicités sont en rapport. L’exemple est ce qui se trouve qualifié entre langue dominante et langue dominée. La situation de rencontre sur laquelle nous reviendront irait-elle jusqu’à constituer la possibilité d’un métissage ou d’un créole, par l’enracinement sur une relation inter-individuelle.

Si la psychothérapie est ce qui s’envisage parfois comme un déploiement de la symbolisation qui contribue au cheminement individuel et à la culture par la mise en commun, ce que soutient N. Saltzman, il est bien nécessaire qu’un champ de formulation soit utilisé.

A.Cherki souligne le fait que l’apprentissage d’une nouvelle langue dans la mesure où elle est d’apparition tardive, risque de l’éloigner pour ne pas dire la couper de la matrice affective que les moments de la relation mère enfant, lieu d’apprentissage de la langue rendent si présent et important pour le parler. Nous retrouvons là ce qui peut se rapprocher d’un aspect faux self peu propice à son utilisation vers ce que se voudrait une psychothérapie. Reste que positionné dans sa possibilité métaphorique, dans une relation où son mobilisé les affects du trauma un détour peut s’envisager détour qui donnerait dans le fond une autre configuration du déni.

Ainsi cet aspect peut-il rendre impossible or de circonstances exceptionnelles ce rapport nécessaire à la mise en place de ce que nous appellerions une psychothérapie.

La situation de rencontre

Il est important pour notre travail de situer son contexte, et plus particulièrement les multiples situations individuelles et sociales qui peuvent se rencontrer. Qu’y a-t-il de commun entre :

Une rencontre dans un cabinet de consultation de psychanalyste, de psychologue, de médecin.

Une rencontre organisée dans un centre, institution à visée d’accueil transculturel.

Une rencontre sur les lieux d ‘un pays étranger au thérapeute, comme dans les actions de MSF.

Que le demandeur se trouve chez lui s’adressant parfois pour une aide à un interlocuteur de passage, ou qu’il soit en situation de migration, par amour, par souhait, par rupture, par trauma, ou encore par persécution ? Autant de situations qui rendent difficile toute généralisation partant d’un critère unique.

On voit par ce questionnement que si une rencontre inter-individuelle peut se déployer potentiellement, son éclosion est aléatoire et demande le plus souvent la possibilité qu’une histoire advienne pour permettre que puisse se trouver le déploiement d’un matériau nécessaire.

Tout cela pour rester sur le fait que la psychothérapie n’est pas la propriété du thérapeute mais la possibilité de l’élaboration d’une rencontre.

Le cadre d’un travail possible

Si nous restons dans la dimension de la psychothérapie telle que la psychanalyse l’a instaurée, c’est à dire dans le déploiement de l’aptitude symbolisante. Nous voyons que cette dimension est rendue particulièrement délicate dans une situation inter-individuelle limitée à deux individus, bien que celle-ci soit au départ la plus originaire dans le développement de la fonction symbolique, son inscription dans l’historicité lui confère d’autres dimensions. Elle reste active dans la circulation des différents niveaux d’inter-relation, en particulier concernant les plus archaïques, mais se révélera inadéquate au moment de l’élaboration où l’obligation par le code symbolique utilisé se trouve de faire basculer, vectoriser la relation dans les faits de langage, réinstaurant les clivages religieux, culturels, sociaux.

Si la psychanalyse nous est advenue par l’œuvre de Freud, c’est peut-être qu’à un moment Spinoza avait déjà ré-ouvert cette possibilité de réappropriation de la parole.

Si des personnes de religion ou de société autres ont pu faire leur la démarche analytique, c’est par cette même possibilité de ré-appropriation de la parole par l’individu. Un sujet qui ne soit pas réduit au sujet social ou religieux.

Ainsi est-il possible de s’interroger la place que la psychanalyse peut occuper lorsqu’elle se déploie

  • entre deux individus vivants au japon , ou la notion de personne ne se situe pas sur le même plan individuel .
  • Entre deux individus indiens où le système des castes reste actif.
  • Entre deux individus musulmans où la parole déployée ne serait que de dieu. A moins que la marque d’Averroés est permis cette ouverture.

Cependant remarquons que dans ces situations, il s’agit d’une importation dans le cheminement d’une ouverture dans l’histoire d’une culture par la diffusion de texte, leur traduction préalable, ou l’apprentissage de la langue par les protagonistes.

Ceci nous amène à considérer que même dans la proximité des cultures judéo-chrétiennes, des passages de langue, Allemand, Anglais, Français, Espagnol, Italien révèlent parfois des failles de compréhension, et permettent ainsi de générer de nouveaux horizons ou de maintenir actif l’ombre de malentendus (j’en veux pour preuve des notions comme spaltung, Hiflosigkeit, game, voire âme tel que le montre Changeux).

Ces faits établis, il reste qu’à partir de cet objectif de permettre de mettre en place une dynamique de symbolisation, peut se construire des dispositifs à même de faire circuler les éléments d’un tel processus.

Cependant un travail à l’occasion de rencontre de consultation directe peut se déployer même compte tenu des limites évoquées, cas de figure singulier, mais n’en est-il pas toujours ainsi ? La description montre les dimensions composites originales O Douville nous fournit de remarquables exemples cliniques de ces rencontre à son cabinet de psychanalyste.

Un autre abord se situe dans la constitution d’espaces intermédiaires ou transitionnels aux formes les plus divers, permettant la constitution d’espaces de métaphorisation.

Par exemple dans la mise au point d’espaces aux intervenants multiples, acteurs aux positions différentes, dans lesquelles une dynamique de dimension groupale peut intervenir, permettant à la fois la constitution d’enveloppe contenante et de contenus circulants.

L’assemblée parfois du porteur de symptôme, de son entourage, de traducteurs, d’anthropologues , d’autres soignants infirmier, médecin , de psychanalyste, est apte me semble –t-il à remplir cette fonction. Il ne s’agit pas d’une multiplication d’intervention, mais de mettre en jeu un espace de circulation qui pourra se trouver métabolisé à différents niveaux dans un cheminement, qui pour être approximatif n’en constitue pas moins une possibilité d’étayage, ouvrant la voie de symbolisations à partir de relais structuraux différents.

Que de ce creuset, giron, un observateur extérieur puisse émettre des jugements ou exprimer son incompréhension, voilà qui est familier aux praticiens de la psychanalyse.

Un autre dispositif me semble-t-il est celui rapporté par B.Doray dans la mise en place d’une pratique qu’il qualifie de resymbolisation. Cette fois c’est par la médiation de la création artistique par exemple. A travers l’œuvre lieu de passage de ce qui pourra se poursuivre chez chacun dans un cheminement symbolique. Tel intervention d’un artiste plasticien dans la figuration sur le terrain d’un génocide, pour autant que la dimension puisse apparaître originale, c’est par ce fait même qu’elle peut remettre en action la symbolisation.

En conclusion

Si nous nous referons à la psychothérapie et à la dynamique scientifique de sa référence, nous voyons que par sa nature même elle entre en conflit avec les autres niveaux relationnels établis.

Que la notion même de psyché, proposition à visée scientifique est déjà en elle même marquée du sceau de son histoire et de ses dérives de sens .

Le contrat psychothérapique qui préside à l’établissement d’une telle démarche est donc la plupart du temps entaché d’un certain nombre de quiproquos, qui pour être habituels n’en sont pas moins parfois rédhibitoires à la possibilité de son déploiement, ou se transforme en contrat de soins.

Reste qu’une action qui pourrait se qualifier de psychothérapeutique, ou même susceptible de développer les éléments de compréhension de l’observé, est susceptible de devenir source d’enrichissement réciproque est possible.

Michel Brouta

Paris le 28 mai 2016

 

BIBLIOGRAPHIE

Cherki A. (2006) : La frontière invisible, violences de l’immigration. Paris (2008) : Editions des crépuscules.

Douville O. (2014) :  Les figures de l’autre – Pour une anthropologie clinique. Paris : Dunod

Hagège Cl. (1985) : L’homme de parole. Paris : Fayard.

Kristeva J. (2010) : Estoriotà Di Dio, Conférence de à la faculté téologica dell’italia settentrionale 23 24 fév. 2010 Milano

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Moro M.-R., De La Noë Q, Mouchenik Y. (2006) : Manuel de psychiatrie transculturelle : Travail clinique, travail social. Grenoble : La pensée sauvage.

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