l’expérience de Thierry Tran.
Plasticien et infirmier, animateur d’un atelier d’arts plastiques dans un hôpital de jour pendant 30 ans .

Dans les années 70 l’évolution de la psychiatrie vient à considérer l’importance de l’expression artistique dans le contexte de troubles psychiques . C’est aussi l’époque de naissance du courant artistique art et société , époque où la psychanalyse influence l’approche du trouble mental,époque où se met en place la grande ouverture des institutions psychiatriques par l’instauration d’une politique de secteur , époque aussi de la psychothérapie institutionnelle. Dans ce contexte les institutions accordent une place, et des crédits à des démarches créatives.
Situation :
Ainsi vers 1975 avec la collaboration de Denis Godefroy peintre d’art contemporain abstrait figure innovante déjà museifiée , quelques heures sont consacrées par semaine à l’hôpital de jour pour une expérience d’expression plastique.
Il y sera rejoint quelques années plus tard par Thierry, qui collabore dans un premier temps et rapidement devant la demande va créer un deuxième atelier, puis un atelier de céramique . Au décès prématuré de Denis en 1997 , Thierry assumera seul la poursuite de l’activité.
Le déroulement de l’atelier : voilà ce que Thierry en dit :
Je suis animé avant tout d’une passion pour la peinture, de ce désir que quelque chose transpire, se transmette. Je n’ai pas pratiqué de l’art-thérapie (avec interprétations) j’ai préféré mon expérience d’artiste dans une prise en charge institutionnelle qui permettait le regard clinique de toute l’équipe soignante.
Ainsi l’inscription, les indications sont décidées en équipe, le principal argument d’entrée en est le désir, la demande. Il est parfois nécessaire d’en soutenir le cheminement, l’envie du patient qui n’osera pas demander à participer à cet atelier car freiné, trop pris par les éléments de son histoire, ou par des à priori concernant la pratique d’une activité picturale en psychiatrie de surcroît.
Le groupe constitué est un groupe fermé, les patients s’engagent à venir régulièrement. C’est un engagement formel qui tolère les absences, les retards.
Sa modalité de fonctionnement peut être opérante car le groupe est construit en rapport à la dynamique de pensée des soins dans cet hôpital de jour. Cela permet à cet atelier d’être singulier tout en étant relié aux autres espaces de soins, tels les consultations médicales et les psychothérapies, les entretiens infirmiers, les activités de socio-développement.
Ceci est fondamental pour permettre de centrer le travail sur une exigence plastique, plutôt que de le centrer sur l’observation et l’analyse du processus psychique du patient dans le groupe .
Les production appartiennent bien évidemment à leur auteur, mais force est de constater que des patients laissent leurs œuvres comme part d’eux même, comme trace.
Les observations faites par l’animateur seront retravaillées en équipe, aucune interprétation psychologique n’est proposée dans le groupe.
La production ne fait pas l’objet d’une analyse de ce qui se passe pour le patient à ce moment là , mais celui -ci peut reprendre à sa convenance ce qu’il y vit dans un moment d’élaboration (dedans et dehors) Les questions transférentielles de l’animateur, les observations seront proposées à l’analyse et la réflexion en équipe autour du patient.
La question de l’efficacité thérapeutique de l’atelier ne se pose pas dans l’immédiat de l’atelier puisque le soin est pensé dans sa globalité et les liens faits entre les différents dispositifs sont élaborés en équipe.
Pendant la séance:

Les séances sont structurées: Accueil , chacun choisi son sujet, et certains ont déjà une démarche artistique. Aux autres est proposé un soutien à la création avec des sujets sous forme de photocopies qui existent dans l’atelier, des sujets divers et choisis. Les thématiques violentes et érotiques ont été écartées. Cette proposition picturale permet plutôt que la confrontation au vide de la feuille blanche, d’envisager l’appropriation d’un motif pour une ré-interprétation avec sa dimension créative.(priorité au fait de faire)
il y a de la musique que je choisis. Ce sont des compilations des Inrockuptibles , des musiques que je ne connais pas et qui sont des plus modernes. Le prétexte est de découvrir ensemble. On fait ensemble cette expérience et on part à l’aventure .
Chacun choisit sa technique, son format petit ou grand sur table ou sur cimaise, avec de la peinture ou de crayon. Des rythmes se multiplient en fonction de la technique choisie par exemple la gestion du séchage, qui varie selon que l’on travaille dans le « frais » ou sur du « sec » etc…il y a donc des temps de pause où l’on peut sortir de l’atelier « aller fumer une clope », « prendre un café »..la porte reste ouverte.
Lors du déroulement:
Il m’arrive m’arrive de rester silencieux toute la séance, il arrive aussi que j’ai des interventions, quand je vois par exemple une feuille qui se détache, j’arrive avec mon agrafeuse pour aider la personne qui est embarrassée entre la peinture qui est entrain de se décrocher du mur qui tombe dégoulinante sur la tête. Il est des situations cocasses comme ça où je me permets d’intervenir.
J’observe beaucoup et, quelquefois je sens les moments où il y a des impasses ,où ça sèche un peu trop vite dans la tête plutôt que sur le mur. J’essaie d’intervenir, d’aider,d’être soutenant. .
A la fin de la séance:
Quand l’atelier est rangé, tout le monde assis, Il y a un espace de parole où je demande à chacun comment s’est passé la séance. En général il y a un grand silence ,ou quelques phrases rituelles « c’était un bien belle séance ». Ensuite je prends la parole et je fais un travail technique, comme Denis Godefroy faisait dans ses ateliers à l’extérieur. C’est un moment de synthèse, mais on parle des travaux d’un point de vue technique ? J’appelle ça le « parler peinture » Par exemple c’est important d’avoir un « bon fond »de peinture. Je ne vais pas dire « il n’y a pas de perspective », j’essaie de faire partager ce « parler peinture » et j’ai l’impression que je me fais comprendre. Cela crée une complicité qui me permet d’avoir la confiance des participants,c’est une confiance partagée.
Quelques points d’attention:
Les préjugés de l’art , les questions posées sont souvent autour de « reproduire fidèlement le modèle », de « la difficulté à mettre sur la feuille ce qu’il y a dans la tête ». Une des règles était de ne pas déchirer et jeter les productions faites dans l’atelier

l’atelier comme dépôt
Par exemple, un patient psychotique qui ne se détachait pas du monstre qu’il avait produit un jour où il était mal, pas lavé,le regard hagard : il avait travaillé rapidement, un rectangle noir dans lequel il y avait une tache rouge, en dehors de ce rectangle des sortes d’oriflamme vertes et jaunes (vague figuration de serpents de chimères). Il détournait le regard de ce qu’il avait appelé le loup qu’il avait fait sur le papier. Il avait montré son travail mais dos au travail en me regardant comme effrayé de sa production.
A la suite de cette séance, il n’est jamais revenu à l’atelier. Par la suite régulièrement il demandait si « elle » « la chose » « le truc », si c’était toujours » à l’atelier. Rictus et ricanements de soulagement quand la réponse était: » oui il est bien à l’atelier. »
Un autre exemple une patiente demanda ses travaux faits quinze ans plus tôt . Reconnaissante de les avoir retrouvés, elle s’autorisa une exposition.
La question des vols s’est posée, certaines œuvres faisaient envie, surtout lorsque d’autres du même auteur avaient été vendues . Il y eut des situations avec retentissements personnels et institutionnels qui demandèrent une élaboration.
L’atelier dans le symptôme
Tel cas d’une hyper production consommatrice et inondant l’institution, les amis, les poubelles, puis le grenier lorsque les œuvres étaient retrouvées.
Ou celui de la production jamais finie éternellement reprise .
Devenir des œuvres
85 % des œuvres crées dans cet hôpital de jour restaient dans l’institution ,entassées dans le grenier de la bâtisse administrative, ce qui posait régulièrement des questions de sécurité(risque d’incendie).
Régulièrement des expositions dans l’hôpital étaient réalisées: travail vu par les patients et par les soignants.
Dès son origine par l’intermédiaire de Denis en relation avec José Sagit et Joel Delaunay travaillant à l’hôpital s’est créé depuis 1985 un festival « art et déchirure » festival aux multiples activités artistiques qui depuis de nombreuses années est devenu un moment fort des expositions d’art brut en France, ce qui a valu aux organisateurs de trouver une reconnaissance dans la création récente d’un musée au sein du CHSR du Rouvray
L’atelier y a participé presque chaque année . Pour nous animateurs, nous nous sentions responsables de ne pas confiner les œuvres dans l’atelier, mais de les montrer au public ,j’ai l’intime conviction qu’elles ont les qualités pour être vue et partagées. Nous avons encouragé les patients à participer à ce festival, mais nous avions le souci de leur permettre de garder l’anonymat, car signer de son nom pouvait paraître périlleux . La stigmatisation de la pathologie mentale est encore une réalité. Donc nous avons choisi de donner un nom au groupe: « Art Maniak ». C’est un collectif informel qui nous à permis d’exposer sous ce nom.
Chaque année l’atelier choisit des œuvres d’un format identique, (Format proposé de base à l’atelier après examen de critères multiples : grandeur, qualité, prix) cela permet une lecture et une cohérence de mise en scène.
Une des mises à l’épreuve est de fixer un prix à l’oeuvre, ce qui vient bousculer, interroger l’estime de soi , qui oscille entre le moins que rien et la mégalomanie. Une connaissance du marché permet d’évaluer la somme la plus juste. Le prix surprend souvent les patients qui n’imaginent pas une telle valeur, mais des ventes se sont effectuées à chaque édition du festival.
Non seulement le bénéfice immédiat pour le patient est important, mais aussi l’effet de ces ventes qui est une gratification , une reconnaissance, une crédibilité du travail effectué dans l’atelier.
Certaines personnes se sont engagées dans la voie de l’art, et exposent seules .
Conclusion
L’aventure de cet atelier d’arts plastiques est d’une grande richesse pour les patients et les soignants. Il produit non seulement des effets thérapeutiques, mais aussi des effets poétiques un espace de liberté dans l’institution, une place vivante vivifiante parfois. C’est peut être de là la dynamique bénéfique .
La rencontre avec Thierry s’est accompagnée d’un regard sur son propre travail, c’est à partir de lui qu’a été retenu ce qui est porté en illustration , Mon attention s’est trouvé attirée plus particulièrement par le tableau « lettres anonymes », il apparaissait en résonance troublante avec le travail de réflexion qui s’est déployé à l’occasion de la préparation de notre projet de colloque..
