L’apport de Vygotski en psychologie de l’art,suivi de: La plaidoirie de la défense aux assises ;un art au sens de Vygotski

«  L’apport de Vygotski en psychologie de l’art; « L’art est une technique sociale du sentiment. »

Didier Lochouarn

Selon Vygotski l’idée centrale de la psychologie de l’Art consiste à reconnaître dans l’art,que la forme artistique l’emporte sur le matériau et que l’art est une technique sociale du sentiment.

Attentif aussi bien aux apports de Freud qu’aux thèses des formalistes russes, Vygotski est convaincu que le psychisme est à penser selon l’idée fondamentale d’activité telle que la propose Marx . il considère Avec Hennequin l’œuvre d’art comme un ensemble de signes esthétiques tendant à susciter des émotions chez les hommes. Il s’agit sur la base de l’analyse de ces signes, de reconstituer les émotions qui leur correspondent ».
L’esthétique lui apparaît comme psychologie du plaisir esthétique et de la création artistique, comme une théorie du comportement esthétique, c’est-à-dire d’un état psychologique qui saisit et emplit l’homme tout entier et dont une impression esthétique constitue le point de départ et le centre.

L’objet esthétique ne se réalise dans sa spécificité esthétique qu’à travers la perception, le sentiment éprouvé, et l’imagination du sujet qui le reçoit.

La psychologie de l’art requiert avant tout une conscience nette et claire de l’essence du problème psychologique de l’art et de ses frontières. Vygotski en accord avec Kûlpe (théoricien de la connaissance 1909 Université de Munich) souligne qu’au fond aucune esthétique ne peut se tenir à l’écart de la psychologie.

Pour Vygotski, la tache est de tracer de manière très précise la ligne de démarcation entre le problème psychologique de l’art et le problème sociologique, et c’est l‘histoire de l’art qui étudiera la genèse de l’art et sa dépendance à l’égard de l’économie sociale.

Parmi les courants sociologiques de la théorie de l’art, celui qui est le plus conséquent et va le plus loin est  la théorie du matérialisme historique, qui cherche à bâtir une investigation scientifique de l’art sur les mêmes principes que ceux appliqués dans tous les phénomènes et formes de la vie sociale.

Jusqu’à récemment l’étude psychologique de l’art s’était toujours faite dans l’une ou l’autre de ces directions :
• Soit on étudiait la psychologie du créateur, de l’artiste telle qu’elle est exprimée dans telle ou telle œuvre.
• Soit on étudiait ce que ressent le spectateur, le lecteur qui perçoit cette œuvre.

L’imperfection et la stérilité de ces deux méthodes sont assez évidentes lorsqu’on prend en considération d’une part l’extraordinaire complexité des processus de création, d’autre part le fait qu’on n’a pas la moindre idée des lois qui gouvernent l’expression du psychisme du créateur dans son œuvre.

L’analyse de ce que ressent le spectateur (ou le lecteur) se révèle de même stérile puisque ce vécu est lui aussi caché dans la sphère inconsciente du psychisme.

Toute œuvre d’art est considérée par le psychologue comme un système de stimuli organisés dans le but conscient et délibéré de susciter une réaction esthétique.Donc, en analysant la structure des stimuli, on reconstitue la structure de la réaction.

Il est possible d’exprimer l’orientation générale de cette méthode par la formule suivante : La forme de l’œuvre d’art passe de l’analyse fonctionnelle de ses éléments et de sa structure, à la reconstitution de la réaction esthétique, et à l’établissement de ses lois générales.

La première formule, et la plus courante qu’a à rencontrer le psychologue quand il aborde l’art : Celle de l’art comme connaissance…Elle est très proche de la théorie venant de la lointaine antiquité selon laquelle l’art est connaissance de la sagesse,. L’idée fondamentale de cette théorie est une analogie entre l’activité, l’évolution de la langue et l’art.

Dans tout mot, comme l’a montré le système psychologique de linguistique, il distingue trois éléments de base :
En premier lieu la forme sonore, externe image acoustique,
en deuxième lieu l’image ou forme interne image mentale ou inconsciente,
en troisième lieu la signification, représentation cognitive.

Ces trois éléments se retrouvent dans chaque œuvre d’art, affirmant par conséquent que les processus psychologiques de perception et de création de l’œuvre d’art coïncident avec les processus psychologiques de perception et de création d’un mot isolé, Dans l’œuvre d’art, l’image est au contenu ce que dans le mot, la représentation est à l’image sensible et au concept.
Le caractère symbolique ou imagé du mot équivaut à sa valeur poétique c’est-à-dire devient la base de l’expérience vécue artistique,

L’essence de l’art lyrique par contre ne peut en aucune façon être ramenée à des processus de connaissance, à un travail de la pensée. Le rôle déterminant dans le vécu lyrique est joué par l’émotion, une émotion qui peut être très exactement distinguée des émotions accessoires comme celles survenant dans le processus de création philosophique ou scientifique. «Les émotions jouent un rôle énorme dans la création artistique par images. Elles y sont suscitées par le contenu même et peuvent être de n’importe quelle sorte : émotions de chagrin, tristesse, pitié, indignation, compassion, attendrissement, épouvante, etc…En soi, elles ne sont pas lyriques. Mais une émotion lyrique peut s’y mêler  émanant de l’extérieur, de la forme justement, si l’œuvre d’art en question revêt une forme rythmique par exemple, une forme versifiée, ou la forme d’une prose dans laquelle on respecte une cadence rythmique du discours.

La différence entre l’effet que produit la transposition la plus fidèle et celui de l’œuvre elle même, est le point de départ de l’analyse de l’émotion spécifique suscitée par la forme. « C’est seulement dans sa forme donnée que l’œuvre d’art exerce son action psychologique ».

Les processus intellectuels ne sont qu’une partie, constituante, de celle-ci, quant à cet enchaînement, il est réalisé comme le dit Tolstoï : Hors de la pensée.
La particularité de la poésie est d’utiliser des jugements synthétiques à la différence de la science qui utilise des jugements analytiques. Mais elle est faite aussi par quelque chose d’autre. Autrement dit, si la pensée fait partie aussi de la psychologie de l’art, la poésie dans son tout n’est cependant pas tout entière un travail de pensée. Tolstoï a souligné cette force psychologique extraordinaire de la forme artistique lorsqu’il indiquait que « porter atteinte à cette forme dans ses éléments infiniment petits conduit aussitôt à réduire à néant l’effet artistique . Pour Brioullov, l’art commence là où commence un rien », exprimant par ces mots le trait le plus caractéristique de l’art. « Il en est de même pour tous les arts : « un rien plus clair, un rien plus sombre, un rien de trop, un rien pas assez, un rien outré en poésie et il n’y a pas de communication d’émotion ».
Il n’y a communication que lorsque, et dans la mesure où l’artiste trouve les éléments infiniment petits dont se compose l’œuvre d’art. Il est tout à fait impossible de les enseigner du dehors, de trouver et d’enseigner ces éléments infiniment petits. On ne les trouve que lorsqu’on s’abandonne au sentiment. Aucun enseignement ne peut faire qu’un danseur soit juste en mesure avec la musique, et qu’un chanteur ou un violoncelliste attaque la note juste en son milieu infiniment petit, qu’un dessinateur trace parmi toutes les lignes possibles, la seule ligne qui soit nécessaire, et qu’un poète trouve la seule disposition qui soit nécessaire pour les seuls mots qui soient nécessaires. Tout cela, seul le sentiment le trouve. »

L’art commence là où commence « le rien » revient à dire que l’art commence là où commence là forme »… « L’émotion due à la forme a quelque chose qui la suit ; c’est l’élément initial, l’élément de départ sans lequel la compréhension de l’art est tout à fait impossible. »
« Le mérite de l’artiste est non pas dans ce minimum de contenu auquel il a pensé en créant, mais dans une certaine souplesse de l’image, dans le pouvoir interne qu’a la forme de susciter le contenu le plus varié ».,

« L’art exige du fini et de la précision. C’est pourquoi il ne peut être laissé à l’arbitraire de l’imagination du lecteur ; c’est non pas le lecteur mais le poète qui crée l’œuvre d’art.»

« Le but de la description de l’objet en art est non pas l’image sensible de l’objet mais l’impression sans image que donne l’objet » « Même dans l’art plastique, tout comme en poésie, l’impression sans image est le but final de la description de l’objet.
L’imagination et la fantaisie doivent être considérées comme des fonctions au service de notre sphère émotionnelle. » L’activité de l’imagination représente une décharge d’affects, tout comme les sentiments se résolvent en mouvements expressifs.
L’art est un travail de la pensée mais d’une pensée émotionnelle toute particulière …Tout ce que l’artiste trouve tout prêt, que ce soit les mots, les sons, les fables courantes, les images ordinaires, etc… tout cela constitue le matériau de l’œuvre d’art, y compris les idées qui sont incluses dans l’œuvre.

Le mode de disposition et de construction de ce matériau est appelé la forme de cette œuvre. Le but de l’art est de donner la sensation de la chose en tant que vision de la chose et non reconnaissance de celle-ci: Le procédé de l’art est celui qui consiste à imprimer un « effet d’étrangeté » et à compliquer la forme, ce qui accroit la difficulté et la durée de la perception car le processus de perception en art est une fin en soi et doit être prolongé ; « l’art est un moyen de vivre le faire de la chose, tandis que ce qui est fait n’a pas en art d’importance. »

l’aspect le plus important de l’art est qu’aussi bien le processus de sa création, que celui de son utilisation, sont en quelque sorte incompréhensibles, inexplicables, et se dissimulent à la conscience de ceux qui ont à faire à eux. L’inconscient devient objet d’étude du psychologue, non pas en tant que tel, mais par une voie indirecte, celle de l’analyse des traces qu’il laisse dans notre psychisme. Car l’inconscient n’est pas séparé de la conscience par un mur infranchissable. Les processus qui commencent dans l’inconscient ont souvent leur prolongement dans la conscience et, inversement, nous refoulons bien du conscient dans la sphère du subconscient.

Il existe entre les deux sphères de notre psychisme un lien dynamique vivant, permanent qui ne s’interrompt pas un instant. Jusqu’alors la psychanalyse avait eu à faire avec deux faits principaux dans lesquels l’inconscient se manifeste : le rêve et la névrose. Elle concevait et interprétait le premier et la seconde comme un compromis ou un conflit entre l’inconscient et le conscient.

Les psychanalystes ont commencé par là, affirmant que l’art occupe une place médiane entre le rêve et la névrose et qu’il a pour base un conflit qui « est déjà trop mûr pour le rêve mais pas encore devenu pathogène. »
Si l’art se distingue en quelque chose du rêve et de la névrose, c’est avant tout en ce que ses produits sont sociaux à la différence des rêveries et des symptômes de maladie. »
Pour Vygotski « La théorie psychanalytique comporte du point de vue de la psychologie sociale deux péchés fondamentaux :
-Le premier : Le désir de ramener coûte que coûte les manifestations du psychisme humain à la seule pulsion sexuelle. Ce pansexualisme n’est en particulier pas du tout fondé lorsqu’il s’applique à l‘art.

Comment peut-on convenir que chez l’homme social participant à des formes très complexes d’activité sociale ne puissent apparaître, et exister toutes sortes de pulsions et d’aspirations, qui, non moins que les pulsions sexuelles, sont capables de déterminer son comportement et même le dominer ?

-Le second : En attribuant un rôle exagérément important à l’inconscient, les psychanalystes ramènent en effet à rien toute conscience, laquelle, selon Marx, constitue l’unique différence entre l’homme et l’animal : « l’homme se distingue du mouton par l’unique fait que sa conscience prend chez lui la place de l’instinct ou que son instinct est un instinct conscient.

La non prise en considération des éléments conscients dans l’expérience vécue artistique efface en totalité la frontière entre l’art en tant qu’activité sociale douée de sens, et la formation dépourvue de sens des symptômes de la maladie chez les névrosés ou l’accumulation désordonnée d’images dans le rêve. (c’est ce que la psychanalyse cherche mais le sens est crypté.)

La réaction en art ne fait que commencer par un acte de perception sensorielle, mais bien sûr, elle ne s’y achève pas. C‘est pourquoi la psychologie de l’art doit commencer non pas par le chapitre qui a trait habituellement aux vécus esthétiques, mais par les deux autres problèmes : Celui de l’émotion et celui de l’imagination. Elle commence plus précisément à l’intersection de ces deux autres problèmes.
Les sentiments se distinguent par une série de particularités dont la première est l’indétermination. C’est en cela que le sentiment se distingue de la sensation… cela signifie que nous ne pouvons pas concentrer une attention sur une émotion. Dès que nous essayons, le plaisir ou le déplaisir immédiatement se dissipe ; Le sentiment est toujours conscient et la notion d’un sentiment inconscient est une contradiction dans les termes même.

Freud, sans doute le plus grand avocat de l’inconscient dit : « Car l’essence du sentiment est d’être senti, c’est-à-dire connu de la conscience. Ainsi, pour les sentiments, les sensations et les affects, la possibilité d’être inconscients disparaît totalement. » . Cette inconscience de l’affect se distingue cependant de l’inconscience de la représentation, puisqu’à l’affect inconscient ne correspond qu’un embryon d’affect, en tant que possibilité dont le développement s’est arrêté. Pour Vygotski Il n’y a pas d’affects inconscients au sens où il y des représentations inconscientes.

Le sentiment avec son inévitable coloration ne continue d’être tel que tant qu’il est ressenti, tant qu’il se manifeste dans la conscience…( et il n’y a pas de sphère inconsciente dans l’âme qui ressent. ». D’un coté, le sentiment est par nécessité dénué de clarté consciente, de l’autre, il ne peut en aucune façon être inconscient. Cette contradiction est un fait établi dans la psychologie empirique. Le sentiment est à classer dans les processus où il y a dépense, consommation, ou décharge d’énergie nerveuse.

De façon parallèle à Freud qui chercha à fonder les questions de l’énergie libidinale en puisant dans les théories neurologiques de la Salpêtrière, ou la physiologie d’Helmotz.Vygostki va se tourner vers qui lui est proche : Le professeur J. Orchanski.(Professeur de neurologie  à Saint Petersburg 1898) qui pose que notre énergie psychique peut être dépensée sous trois formes :

Ainsi les trois formes de l’énergie ou de l’activité psychique, correspondent à trois formes d’activité nerveuse :
• Le sentiment correspond à la décharge,
• La volonté à la partie en activité de l’énergie.
• Quant à la partie intellectuelle de l’énergie, en particulier l’abstraction, elle est liée à la répression ou économie de la force psychique et nerveuse.
Au lieu de la décharge, ce qui prédomine dans les actes psychiques supérieurs, c’est la transformation de l’énergie psychique vive en énergie de réserve. »

Ovsianiko Kulikovsky montre en détail que :« C’est la loi de la mémoire qui domine dans notre pensée alors que dans notre sentiment, c’est la loi de l’oubli » Et il fonde son analyse sur les manifestations les plus hautes et les plus vives du sentiment, c’est-à-dire les affects et les passions…

« Si l’on prend l’ensemble des affects et des passions pendant une période de temps donnée, cette dépense s’avèrera énorme… les nombreuses passions et différents affects représentent une véritable prodigalité, une dilapidation psychique. Ces deux âmes » s’accordent mal entre elles et le psychisme humain qu’elles forment est un psychisme mal organisé, instable et plein de contradictions internes. »

Une question fondamentale est posée pour la psychologie de l’art : devons nous considérer le sentiment seulement comme une dépense d’énergie psychique ou a –t-il pour rôle dans l’économie de la vie psychique d’épargner, d’économiser?

En fonction de la solution qu’on donne cette question importante, centrale pour la psychologie du sentiment, on a une réponse à une autre question centrale de l’esthétique psychologique : celle du principe d’économie des forces.

La contradiction qui existe entre ce principe d’une part, et la théorie du sentiment comme dépense d’énergie psychique de l’autre, conduit Ovsianiko Kulikovsky qui voulait conserver ces deux lois dans sa théorie à devoir diviser l’art en deux branches très différentes :
L’art par images et l’art lyrique.

A juste titre, il détache le sentiment artistique de tous les autres sentiments esthétiques en général, mais par cette émotion artistique, il entend surtout les émotions en pensée, c’est -à -dire les émotions de plaisir, fondées sur l’économie de forces.

A l’inverse, il considère l’émotion lyrique comme une émotion intellectuelle, distincte dans le principe de la première. La différence consiste en ce que la poésie lyrique suscite une réelle, une véritable émotion et, par conséquent ,doit être mise dans un groupe psychologique à part. Mais on s’en souvient l’émotion est une dépense d’énergie, comment alors cette théorie de l’émotion lyrique s’accorde-t-elle avec le principe d’économie des forces ?
Si nous acceptons cette distinction entre l’effet immédiat de l’art et son effet second ou annexe, entre son action et son effet ultérieur, nous devons poser deux questions bien différentes concernant l’économie des forces :
• Où à lieu et où se manifeste cette économie des forces, considérée comme obligatoire pour le vécu de l’art, est-ce dans l’effet second ou dans l’effet premier?

Dans l’effet premier et immédiat de l’art, tout indique plutôt une complication par comparaison avec l’activité non artistique, par conséquent, si le principe d’économie des forces est bien applicable, ce sera vraisemblablement l’effet second de l’art et ses conséquences, mais en aucune façon à la réaction esthétique même, que suscite l’œuvre d’art. Le principe qui domine dans l’art est celui de la dépense et de la perte due à la décharge d’énergie nerveuse : Plus cette dépense et cette décharge sont grandes, plus le bouleversement provoqué par l’art est grand. Si nous nous rappelons ce fait élémentaire que tout sentiment est une dépense psychique et que l’art est de toute nécessité lié au déclenchement d’un jeu complexe de sentiments, nous verrons aussitôt que l’art contrevient au principe d’économie des forces dans son action immédiate et est soumis justement au principe inverse dans la construction de la forme artistique. Notre réaction esthétique se présente à nous avant tout comme une réaction qui, loin d’épargner notre énergie, nerveuse, l’annihile, elle fait plutôt penser à une explosion.
« Le mérite d’un style est de former le plus grand nombre d’idées en le plus petit nombre possible de mots. »

Le principe d’économie des forces cependant, est peut-être applicable à l’art, mais sous une forme tout autre. Et pour y voir clair il faut se faire une idée exacte de la nature même de la réaction esthétique. Il existe sur ce point une multitude de points de vue.

En laissant de côté l’analyse systématique et exhaustive des composantes de la réaction esthétique, notre tentative consiste à indiquer ce qui est en elle central, ce qui est le plus fondamental : Si nous prenons ces théories synthétiques du sentiment esthétique, nous pouvons grouper tout ce qui a été dit jusqu’à maintenant à ce propos en deux types principaux de solution du problème :
• Le premier d’entre eux, a été énoncé déjà il y a longtemps, et a été poussé à un degré de clarté définitif et d’exceptionnelle étroitesse dans la théorie de Christiansen (philosophe allemand). Sa conception du sentiment artistique est fort simple et claire : toute influence du monde extérieur a son propre effet « sensible et moral » selon les termes de Goethe,et suscite une impression émotionnelle propre, un différentiel d’humeur, que les psychologues autrefois désignaient d’une façon très simple et très explicite, comme le ton émotionnel de la sensation.

Toutes nos expériences vécues, fantastiques et irréelles se déroulent donc au fond sur une base émotionnelle tout à fait réelle. Par conséquent le sentiment et l’imagination sont, en somme un seul et même processus,

Deux cas peuvent se présenter ici :
• Dans le premier lorsque les images de l’imagination ou les représentations sont des stimulants internes pour une nouvelle réaction, elles renforcent alors incontestablement la réaction de base. Ainsi la vivacité d’une représentation renforce notre excitation amoureuse mais dans ce cas bien sûr l’imagination n’est pas l’expression d’une émotion qu’elle renforce mais est la décharge de l’émotion précédente.
• Par contre, là ou l’émotion se résout dans les images de l’imagination, alors cette rêverie affaiblit la manifestation réelle de l’émotion et, si nous avons déchargé notre colère dans notre imagination, sa manifestation au dehors sera extrêmement faible.

Si nous prêtons attention au fait irréfutable que chacune de nos réactions est ralentie dans son cours, et perd de son intensité dès que l’élément central qui en est une composante se complique, nous découvrons d’un coup une certaine ressemblance avec la thèse que nous examinons. Ici aussi, lorsque se renforce l’imagination en tant qu’élément central de la réaction émotionnelle, sa partie périphérique est retenue dans le temps, et perd de son intensité.
L’énergie nerveuse a tendance à être dépensée à un pôle, soit au centre,
soit à la périphérie, tout accroissement de la dépense énergétique à un pôle entraîne aussitôt son affaiblissement à l’autre pôle …

De l’avis de Karl Groos,(psychologue allemand ) ce dont il s’agit tant dans le jeu que dans l’activité esthétique, c’est que la réaction est retenue et non pas réprimée.
J ‘ai la conviction de plus en plus ferme dit-il , que les émotions au sens propre sont en liaison étroite avec les sensations physiques. Les états extra organiques qui représentent la base des mouvements psychiques, sont, selon toute vraisemblance, retenus jusqu’à un certain point par la tendance de la représentation initiale à se prolonger, tout comme chez l’enfant qui joue à se battre le mouvement du bras prêt à frapper est retenu.

Puisque la dépense d’énergie se produit avant tout à l’un des deux pôles ( périphérie, ou centre), le renforcement de l’activité à un pôle entraîne sur le champ son affaiblissement à l’autre.
«  Les affects esthétiques sont partiels, c’est-à-dire se déroulant sans passer à l’action, quoiqu’ils puissent atteindre le plus haut degré d’intensité du sentiment. »

Cela concorde fort bien avec ce que nous venons de dire. Nous ne sommes pas loin ici de la théorie de l’isolement comme condition nécessaire du vécu esthétique sur laquelle Hugo Münsterberg Hamman et d’autres psychologues ont attiré l’attention. Cet isolement au fond ne signifie rien d’autre que la séparation du stimulus esthétique d’avec tous les autres stimuli, et cette séparation n’est bien sûr à tout prix nécessaire que parce qu’elle garantit une résolution purement centrale des affects suscités par l’art et est le gage que ces affects ne se manifestent par aucune action au dehors.

Emile Hennequin( critique esthétique, traducteur, Suisse) voit cette même différence entre le sentiment réel et le sentiment artistique dans le fait que les émotions en elles-mêmes ne conduisent directement à aucune action. « L’œuvre littéraire dit-il est un ensemble de phrases destinées à produire une sorte spéciale d’émotion, l’émotion esthétique qui a ceci de particulier qu’elle ne se traduit pas par des actes. Ainsi le fait que la manifestation extérieure soit retenue est justement le symptôme caractéristique de l’émotion artistique, laquelle conserve cependant sa force extraordinaire…Diderot a tout à fait raison de dire que l’acteur pleure de vraies larmes mais que « ses larmes descendent de son cerveau, » et il exprime par là l’essence même de la réaction artistique en tant que telle.

Les esthéticiens indiquent toujours que l’art a à faire avec des sentiments mélangés; l’émotion a dans l’ensemble un caractère organique général.
C’est dans l’émotion que semble se manifester la véritable solidarité de
notre organisme… D’où l’on conçoit que l’art loin de nous rebuter, nous attire, même s’il comporte un sentiment désagréable, il a forcément à faire à des sentiments mélangés en raison de ce caractère organique général de l’émotion.
Il n’y a sans doute pas un seul auteur qui passerait sous silence le fait que nous assistons toujours dans la tragédie à un accroissement de sentiments opposés. Gueorgui Plékhanov (philosophe, matérialisme historique) cite le point de vue de Darwin sur le principe d’antithèse dans nos mouvements expressifs et tente de l’appliquer à l’art. Darwin dit : « Certains états d’esprit amènent certains mouvements habituels, dont l’utilité a été réelle primitivement et peut l’être encore : lorsqu’un état d’esprit tout à fait inverse se produit, il se manifeste une tendance énergétique et involontaire à des mouvements également inverses, bien qu’ils n’aient jamais été d’utilité »…

L’accomplissement de mouvements ordinaires de nature opposée, sous l’empire d’impulsions opposées de la volonté est devenu habituel chez nous et les animaux : iI en résulte que lorsque des actions d’une espèce quelconque ont été étroitement associées avec une sensation ou une émotion, il semble naturel que des actes de nature entièrement opposée, bien qu’absolument inutiles, soient accomplis d’une façon inconsciente, par suite de l’habitude et de l’association sous influence d’une sensation ou d’une émotion directement opposée.

Cette remarquable loi découverte par Darwin trouve une incontestable application en art, et dès lors, il n’y a plus vraisemblablement d’énigme pour nous dans le fait que la tragédie, qui suscite en nous des affects opposés, agit à l’évidence selon le principe d’antithèse, et envoie des impulsions opposées à des groupes opposés de muscles. Elle semble nous faire avancer à la fois à droite et à gauche, à la fois soulever et abaisser un poids, elle stimule à la fois des muscles et leurs antagonistes. C’est là ce qui explique en second lieu la retenue dans la manifestation extérieure des affects, qu’on observe en art. Et c’est là ce qui fait à notre avis la différence spécifique de la réaction esthétique…

Toute œuvre esthétique,fable, nouvelle, tragédie, recèle à coup sûr une contradiction affective, suscite des séries réciproquement opposées de sentiments et les amènent au court-circuit et à l’anéantissement. On peut évoquer le concept de catharsis qu’Aristote a mis à la base de son explication de la tragédie et a mentionné à maintes reprises à propos d’autres arts.

Gotthold Lessing (écrivain, critique d’art, philosophe) entend par catharsis l’action morale de la tragédie, la transformation des passions en inclinations vertueuses. E.Muller y voit le passage du déplaisir au plaisir. Pour Jacob Bernays (philosophe en opposition à Lessing il est l’oncle de Martha) ce mot signifie guérison et purgation au sens médical, pour Zeller la catharsis est un apaisement de l’affect. Ces auteurs expriment de manière on ne peut plus imparfaite selon Vygotski la signification à attribuer à ce mot…Aucun autre terme parmi ceux employés jusqu’ici n’exprime de manière aussi complète et claire pour la réaction esthétique, ce fait central, que les affects douloureux et désagréables sont soumis à une décharge, à un anéantissement en une transformation en leurs contraires, et que la réaction esthétique en tant que telle se ramène bel et bien à une catharsis, c’est-à-dire à une transformation complexe des sentiments.

Nous savons aujourd’hui très peu de choses dignes de foi sur le processus même de la catharsis, mais pour l’essentiel, la décharge d’énergie nerveuse constitue l’essence de tout sentiment, et s’effectue tout au cours de ce processus dans une direction inverse de ce qui se passe d’habitude.

L’art devient un moyen extrêmement puissant pour que se produisent des décharges d’énergie nerveuse importantes et des plus adéquates. La thèse de ce processus est selon nous dans la contradiction inhérente à la structure de toute œuvre d’art.

On peut distinguer dans toute œuvre d’art les émotions suscitées par les matériaux et celles suscitées par la forme, et se demander quels rapports ont entre elles ces deux séries d’émotions. Elles sont en perpétuel antagonisme, orientées en sens contraire. De la fable à la tragédie, la loi de la réaction esthétique est la même : elle comporte un affect qui se développe dans deux directions opposées et qui, à son point culminant, est réduit à néant en une espèce de court-circuit. C’est ce processus que Vygotski définit par le mot de catharsis . L’artiste donne toujours avantage à la forme sur le contenu, Il suffit d’étudier l’effet psychologique des différents éléments formels pour voir aussitôt qu’ils semblent être appropriés pour satisfaire à cette tâche…Que le rythme représente en soi qu’un mode temporel d’expression des sentiments et qu’une forme rythmique reproduit le cours, ou en d’autres termes, le rythme suscite à chaque fois l’affect dont il est partie constituante en vertu des lois psychologiques du processus émotionnel.

Le rythme en soi est capable de susciter les affects qu’il reproduit. La réaction esthétique se ramène à une catharsis, à l’épreuve d’ une décharge complexe de sentiments, d’une transformation mutuelle de ceux-ci, de vécus douloureux provoqués par un contenu d’une nouvelle, nous passons ainsi à la sensation élevée d’un souffle léger par le rythme de la narration. Il en est de même dans la fable et la tragédie.
La clarification cathartique du sentiment, passe nécessairement par la fonction du rythme.

L’opposition découverte par Vygotski entre la structure de la forme artistique et le contenu constitue la base de l’action cathartique de la réaction esthétique. Ce qui est exprimé ici sous la forme d’une loi esthétique, c’est la juste observation que toute œuvre d’art recèle une discordance entre contenu et forme, et que c’est par la forme que l’artiste obtient son effet, c’est-à-dire que le contenu est aboli, comme effacé.

La réaction esthétique a pour base les affects suscités par l’art que nous vivons dans toute leur réalité et leur force, mais qui trouvent à se décharger dans l’activité de l’imagination exigée de nous par chaque perception de l’art.

Grâce à cette décharge centrale, l’aspect moteur, externe de l’affect est retenu au maximum, réprimé, et nous commençons à avoir l’impression de n’éprouver que des sentiments illusoires. C’est sur cette unité du sentiment et de l’imagination que repose tout art. Il a pour particularité la plus immédiate qu’en suscitant en nous des affects orientés en des sens opposés, il retient grâce au seul principe de l’antithèse, l’expression motrice des émotions et, en faisant se heurter des impulsions contraires, aboli les affects du contenu, les affects de la forme provoquant une explosion, une décharge d’énergie nerveuse.

C’est en cette transformation des affects, en leur combustion spontanée, en la réaction explosive qui déclenche une décharge des émotions aussitôt suscitées que constitue la charge de la réaction esthétique.

La contradiction la plus fondamentale de la forme artistique et du matériau, est la partie la plus centrale et déterminante de la réaction esthétique,elle origine la prédominance de la contradiction affective appelée catharsis.

LA PLAIDOIRIE DE LA DEFENSE AUX ASSISES
UN ART AU SENS DE VYGOTSKI,

Didier Lochouarn

L’importance de la complexité des contradictions affectives est illustrée en partant d’une étude de cas d’une plaidoirie dans un procès d’assise.

Marie Barbou a réalisé en effet une thèse en psychologie qui constitue une étude de cas d’un procès d’assises fortement médiatisé : l’affaire Courjault (dite des “bébés congelés”)
Cette recherche s’inscrit dans un programme de recherche sur l’analyse des activités symboliques (Kostulski, 2011), activités professionnelles qui visent d’une manière ou d’une autre à agir dans la vie psychologique d’autrui. Elle puise ses sources théoriques dans les champs de la psychologie sociale et de la clinique de l’activité, mais aussi en psychologie de l’art.

Elle soutient la thèse selon laquelle la plaidoirie de la défense aux assises est un art au sens de Vygotski, c’est-à-dire une technique sociale du sentiment, dont les éléments constitutifs sont la contradiction et la catharsis.

Bref résume de l’histoire de « L’Affaire Courjault » Le contexte de la situation initiale peut être résumé brièvement par les éléments de description suivants à partir desquels,l’enquête l’organisation de la défense, et le procès se sont déroulés:
Jean-Louis Courjault, seul à Séoul pendant que sa femme et ses enfants (Jules et Nicolas qui ont 9 et 11 ans en 2006) passent leurs vacances en France, découvre deux cadavres de bébés dans le congélateur familial et prévient la police. Quelques jours plus tard, alors qu’il a rejoint sa femme et ses fils en France, les tests ADN réalisés par les autorités sud-coréennes authentifient les nouveau-nés comme étant les enfants du couple Courjault.
Le 22 août 2006, Jean-Louis et Véronique Courjault tiennent une conférence de presse avec leur avocat, à ce moment là Me Morin, au cours de laquelle ils contestent les résultats des tests ADN et dénoncent un « lynchage médiatique », avec un possible lien avec les activités professionnelles de Jean-Louis Courjault, travaillant pour une entreprise américaine soumise à des rivalités commerciales.
Après que l’enquête ait été transmise aux autorités françaises et que de nouveaux tests ADN aient été réalisés, Véronique Courjault avoue le 12 octobre 2006 avoir tué et congelé les deux bébés nés à Séoul en 2002 et 2003, ainsi qu’un premier enfant en 1999 alors que le couple habitait en France. Elle est alors placée en détention provisoire, et risque la perpétuité pour les trois homicides volontaires.

Marie Barbou se propose d’analyser les techniques de plaidoirie, en considérant l’impact que peut avoir la plaidoirie sur les sentiments de celles et ceux qui l’entendent, mais aussi, c’est plus inattendu mais tout aussi intéressant, de celui qui plaide. La plaidoirie est considérée ici en tant qu’“art” qui vise à agir sur l’intime conviction des jurés « . Marie Barbou entend donc “s’intéresser à la plaidoirie de la défense aux assises pour interroger la question de l’intime conviction, et du rôle joué par cette activité pour influencer les jurés. Il s’agit de mettre en perspective la psychologie de l’art et la technique sociale du métier d’avocat pénaliste par laquelle, à partir de la parole et du langage, Maitre Leclerc agit dans le contexte de la plaidoirie, sur l’intime conviction des jurés.

Du point de vue de la méthode, l’étude analyse à la fois le texte de la plaidoirie de maître Henry Leclerc l’avocat de l’accusée, plaidoirie qui est entièrement retranscrite dans la thèse, ainsi qu’un entretien de confrontation avec lui qui vise “à comprendre les buts, les destinataires, et les moyens de cette activité réalisée.” [, …]”

Dans un article sur « l’art de la contradiction : Sarah Benabbas ·Doctorante en droit au Laboratoire de droit privé et de sciences criminelles (Aix-Marseille Université  Publié 31/03/2020 · Mis à jour 01/04/2020) examine l’analyse du procès Courjault en se focalisant en particulier sur la plaidoirie de l’avocat, qui “porte la voix de la cliente” en défense, c’est-à-dire sur ce qui est communément perçu comme l’essence même du métier, indissociable de la figure de l’avocat,

La thèse propose une approche rigoureuse d’une question qui avait été célèbrement abordée par la question de fond du débat relatif à la légitimité du jury :La question de la controverse autour du pouvoir de conviction de l’avocat (Rubio, 2008).

Marie Barbou reprend parmi les thèmes importants de ce débat, la question de l’intime conviction, c’est-à-dire la question de la subjectivité de la conviction personnelle guidant la décision du jury, et qui est ici au cœur de nombreuses réflexions.

Marie Barbou a réalisé auparavant dix entretiens auprès d’avocats pénalistes. qui l’ont amenée à s’intéresser à l’affaire Courjault, puisque ce cas avait été cité plusieurs fois. Les entretiens amènent Marie Barbou à problématiser le rôle de l’avocat à travers les écrits de Lev Vygotski qui pose que “la psychologie de l’art consiste à reconnaitre que la forme artistique l’emporte sur le matériau, ou, ce qui revient au même, que l’art est une technique sociale du sentiment.”

L’implication du cadre d’analyse de Vygotski sur la façon dont elle conçoit la plaidoirie de l’avocat est claire pour Marie Barbou qui cherche à analyser “d’une part la réaction artistique, qui implique une complication, et d’autre part ses conséquences sur l’art de déclencher un jeu complexe de sentiments […]A cette fin elle reprend la plaidoirie de Me Leclerc en découpant celle-ci en vingt séquences, avec pour but de démontrer que la “plaidoirie est […]construite d’une suite de déconstructions d’arguments réalisée par le discours de l’avocat” Chaque séquence soulignant comment la principale préoccupation de “la défense” est de répondre une par une aux “attaques” que l’accusation mais aussi les jurés peuvent déjà avoir en tête, ou sont susceptibles d’évoquer.

Cette étude vise aussi à comprendre comment la plaidoirie parvient au résultat escompté. L’élément qui lui a semblé le plus intéressant dans la capacité de “séduction ” de la défense est l’idée que bien que l’avocat ait sa conviction claire que l’accusé est coupable et doit être condamnée, il déclenche une conflictualité dans le « discours intérieur des jurés » par l’évocation des polémiques des différentes façons de voir ce qui se joue,dans le discours intérieur des protagonistes à ce moment là, pour tenter de ramener ce discours intérieur au coté de l’avocat et de ce qu’il défend.”

La plaidoirie doit soulever du doute puisque le doute profite à l’accusé, “un peu comme une vague qui appartiendrait à la fois à la mer et à la plage et qui viendrait épouser le sable, pour en ramener avec elle dans l’océan. Et inversement, car cette dynamique est bilatérale, le sable absorbe une partie de l’eau et se façonne différemment à chaque fois. Le tout forme une vague, toujours ressemblante sans jamais être vraiment la même. ”

Pour résumer la variété et la complexité des points évoqués sans pouvoir développer ici les contradictions et les questions soulevées on peut résumer ici les différents points abordées par Maitre Leclerc dans sa plaidoirie:

  1. Le positionnement de l’avocat dans l’affaire Courjault.
  2. La conflictualité entre la position supposée de l’avocat et la défense, versus celle de l’opinion publique/jurés, et un appel à l’objectivité.
  3. La notion qu’un homme ne peut pas comprendre les raisons de ce crime car c’est une femme qui l’a commis.
  4. Le positionnement de la défense quant à la perception du crime.
  5. La question de la conscience de la cliente au moment des actes/rappelant aussi la foi que l’avocat a en elle.
  6. Le statut de l’acte (différence et rappel des délais entre IVG (interruption volontaire de grossesse) et un crime. Rappel de la nécessité du respect à porter à la vie. Évocation du caractère absurde, du timing et des conséquences pénales.
  7. La perception qu’ont les gens de sa cliente (rappel de la souffrance de celle-ci et du regard que l’avocat porte sur elle).
  8. Crainte qu’on fasse de sa cliente une icône.
  9. Rappel de l’enjeu du procès : le déni de grossesse.
  10. Le statut de l’aveu, lors de l’arrestation. Les remerciements du président pour la clarté des débats. Le rappel du caractère relatif de la notion de “vérité absolue“.
  11. La mise en question des mobiles, les définissant comme étant infondés.
  12. La question du procès, qui serait celle du déni de grossesse et non de Véronique Courjault.
  13. la Notion de responsabilité ; il induit le doute, rappelant “qu’aucune certitude n’a été établie concernant le déni éventuel de sa cliente” et il dit qu’il ne plaidera pas l’acquittement, étant en présence d’un problème extraordinaire ; l’entourage n’ayant pas vu qu’elle était enceinte.
  14. A la question :Quelle peine envisager au regard de la responsabilité de sa cliente ? Il rappelle les contradictions et failles des experts et des expertises. Le fait que les experts n’ont donc pas de certitudes et que les jurés devront composer et juger, de fait, avec des incertitudes.
  15. L’image des avocats :Le métier,leur rôle, leur collaboration pour la vérité. Il rappelle les enjeux du procès, évoquant les risques de la peine encourue, et son accord pour punir l’accusée, tout en abordant la question de la dangerosité de cette dernière.
  16. Les Conséquences d’une peine légère, les atouts de l’accusée qui est encore du “bon coté du mur” ayant la possibilité d’avancer sa thérapie.
  17. La question du doute qui doit profiter à l’accusée.
  18. Les conséquences pour les enfants.
  19. Les enjeux de la condamnation.
  20. Le Bilan passé, les enjeux de demain pour Véronique Courjault.

Pour mémoire Le 18 Juin 2009 Véronique Courjault a été condamnée par la Cour d’assises d’Indre-et-Loire à huit ans de prison pour les trois infanticides, la préméditation pour le premier infanticide n’étant pas retenue, un verdict jugé par l’opinion publique comme étant “plutôt clément”, puis le 17 Mai 2010, la justice a décidé la mise en liberté conditionnelle assortie d’une interdiction de communiquer avec la presse.

L’étude de cas s’achève par l’observation d’un jury qui a bien voté dans le sens demandé par la plaidoirie – la condamnée passera moins d’un an en détention après le verdict.

Marie Barbou montre que la plaidoirie n’est pas la démonstration d’une thèse mais « la mise en évidence de l’esthétique des contradictions,et c’est en ça que réside l’art » : Tout argument doit être renversé avec la meilleure forme possible, à l’aide de “belles formules » qui marquent ceux qui les entendent, » non pas pour faire triompher une vérité mais pour rendre impensable l’absence totale de doute sur la version de l’accusation. »
Cette étude a également pour intérêt de revenir sur une affaire massivement médiatisée et fortement débattue par les pénalistes, tout en montrant la possibilité de l’aborder par un autre prisme que celui, plus large, du déni de grossesse ; la simple possibilité de lire la plaidoirie de la défense mot à mot et de revenir sur cette plaidoirie par l’entretien que Marie Barbou réalise avec Maitre Henri Leclerc, crée chez le lecteur cette impression étrange d’être, quelques instants, lui-même un juré, de devoir lui-même se faire son propre avis.
Marie Barbou ne peut pas, par sa méthode, construire une histoire causale.Mais elle permet à défaut de pouvoir quantifier l’impact de tel ou tel argument, de prendre la mesure du potentiel, du pouvoir de la parole, du pouvoir de plaider, de la forme sur le fond, de l’esthétique sur la logique. La thèse parvient à convaincre que le ” joli mot ” , ” l’heureuse formule” ou simplement l’élégance de la tournure peuvent jouer un rôle, même si ils ne sont pas néanmoins en capacité de démontrer l’importance de ce rôle, car il aurait fallu pour cela un matériau empirique qui dépasse les seuls avocats : jurés, magistrats, clients ont également des choses à nous dire sur cette question, et le travail de Marie Barbou pose les bases d’un chemin de recherche en ce sens.

La plaidoirie avec sa charge objective et sa charge émotive découvre d’autres significations possibles et d’autres qualifications éventuelles concernant les éléments de situation dans laquelle se trouve l’accusée, au moment du passage à l’acte mais aussi au moment où les jurés découvrent la plaidoirie et ont à se prononcer pour le jugement. La forme artistique qui caractérise la plaidoirie ,la distanciation de l’acte, les interprétations possibles de l’accusation et des jurés, l’émotion liée aux conséquences d’une éventuelle occultation de la question du doute ,sont autant d’enjeux du drame et de l’amplification de l’émotion qui caractérise la catharsis. En cela, la qualité de la plaidoirie et la qualité oratoire de l’avocat de la défense contribuent à la reconstruction d’un contexte factuel et émotif de l’objet artistique et esthétique dans lequel se déploie la défense, et survient la catharsis.

Pour conclure la contradiction la plus fondamentale de la forme artistique et du matériau, tel est le bilan de L’étude de Vygotski : la partie la plus centrale et déterminante de la réaction esthétique est la prédominance de la contradiction affective appelée catharsis.

L’objet qui prétend être un art doit être ce que cet art a de spécifique,et qui le différencie des autres domaines de l’activité intellectuelle, ce qu’en fait l’outil ou le matériau de l’étude. Chaque œuvre d’art présente une interaction complexe de différents facteurs, par conséquent, l’étude a pour tâche de déterminer le caractère spécifique de cette interaction » Il est dit ici avec clarté que ce qui doit servir de matériau à l’étude est ce qui n’est pas motivé en l’art, c’est-à-dire quelque chose qui n’appartient pas à l’art seul, la prédominance de la contradiction affective appelée catharsis …

L’étude de cas proposée ici suggère aussi que les questions de l’esthétique et de la catharsis peuvent aussi surgir hors du champ des activités et métiers d’art.. Cette étude permet d’avancer l’hypothèse d’’une apparition de la réaction esthétique et de l’action cathartique dans d’autres activités et situations de travail.

Cette piste de réflexion rejoint de ce point de vue l’observation de Robert Badinter pour qui, « l’avocat à l’instant de la plaidoirie, est comme tous ceux qu’inspire une certaine vision du monde, un créateur au même titre que l’écrivain ou le peintre. Mais de cet art il ne reste rien, une fois l’œuvre achevée. La plaidoirie meurt de s’accomplir. » (Robert Badinter, L’exécution, 1973)

Bibliographie

Vygotsky Lev Psychologie de l’art traduction de François Sève Éditions La dispute 2005

Barbou Marie L’art de plaider en défense aux assises:Analyse dialogique et argumentative d’une technique sociale du sentiment;le cas de l’affaire Courjault Thèse sous la direction de Kostulski accessible en ligne.