Pré-argument
Dans un premier temps nous savons que la psychanalyse à partir des travaux de Freud puis d’Anzieu, aborde chez l’artiste l’exploration de l’inconscient dans la dynamique de mise en œuvre.
La mobilisation des processus de la création, de la sublimation, de la figuration telle l’hallucination et de ses fondements archaïques, témoigne de la pulsion dans la psyché.
C’est aussi la mise en place d’une dynamique : L’artiste produit, et cette production elle-même le produit . Les traces partageables mobilisant les motions psychiques viennent interroger l’objet tel que l’aborde la psychanalyse. Les travaux de Winnicott sur la co-création en sont une approche.

Pour se faire nous partirons d’une situation particulière: l’apparition d’une expression de création dans les circonstances de pathologie mentale, soit spontanément, soit dans le cadre d’ateliers d’art thérapie. Cette production sera ensuite envisagée comme œuvre d’art, nous verrons quel avenir elle pourra avoir, quels impacts, quels rôles seront les siens ? Cette réflexion se conduira à partir de descriptions d’observations accessibles.
Quels effets se produisent dans l’inter-relation avec l’autre qui reçoit l’œuvre ? Comment s’initient les cheminements possibles tant individuels (l’action sur le, les individus , y compris le producteur) que vers l’espace public.(l’artiste n’est jamais seul au monde).
A titre d’exemple:
Jean clair évoque à propos de l’audience surprenante d’une récente exposition de Lucian Freud, la dimension carnalité. Cette dimension exprime la souffrance du social. En travaillant sur des traces éminemment singulières, est également posée la question des traces de ce qui vient du social .
Il évoque également la dimension du sacré et son évolution contemporaine vers un sacer archaïque, où prend place le dégoût plus que le goût comme en témoignent les nouvelles œuvres entrées dans des grands musées.(Londres )
Cette socialité est celle des humains.
Chez les animaux ; les nids, les chants ,les danses nuptiales , ont leur architecture, leur musique, leur chorégraphie. Ces productions sont de plus ou moins grandes qualités, plus ou moins esthétiques selon les protagonistes, elles ont un rôle dans les relations entre les individus du groupe et une influence sur le devenir tant individuel que commun.
On ne s’étonnera pas de l’utilisation du mot esthétique à cette place, puisque cette dimension Kant évoque son application à l’ensemble des formes naturelles. Il ne reste pas moins qu’il ne sera pas question d’art, même s’il se révèle à nos yeux cette dimension d’harmonie esthétique. Pas plus que l’auteur ne sera qualifié d’artiste.
Cet aparté pour situer le champ anthropologique de ce que nous qualifions d’art. Dans une définition actuelle : Est perçu comme art, ce qui se met en scène dans un discours appelé histoire de l’art.
Ce qui réactive une question cruciale souvent abordée, celle de l’art existant comme un monde à part , dans la formulation par exemple de Rancière : n’importe quoi peut y rentrer . «Mais on ne peut produire et contempler la beauté qu’ à condition d’en avoir le loisir». Ou dire selon la formule plus ancienne de Focillon:« L’art simple phénomène de l’activité des cultures, où univers qui s’ajoute à l’univers?» État de choses et écart par rapport à lui dira Vigotsky.
Quel est l’intérêt de retracer un tel parcours, sinon de replacer la production dans la trajectoire du vivant ,et dans la place qu’elle occupe par la suite de son apparition. Il est possible alors de constater la rapide diversification et densification qui caractérise l’ humain dans sa façon de mettre en œuvre.
Dans ce tissu, ce champ relationnel , plusieurs régimes d’accès (je reprends Rancière) se sont déployés, d’abord éthique dans un objectif de transcendance, à valeur religieuse, éducative. Il apparaît par la suite dans un rapport au mode représentatif , localisé, historicisé qualifié de beaux-arts. Un régime esthétique venant donner une place accrue à un réseau de discours de ce qui est perçu comme art. Ainsi la dimension rencontre, celle des subjectivités vient occuper la place jusqu’à constituer le matériau même de l’action artistique .

C’est ici que se situerait le mouvement des nouveaux commanditaires, qui place le dialogue au coeur de la réalisation. C’est aussi dans cette dimension qu’intervient l’esthétique relationnelle de N. Bourriaud . S’agit -t-il de dépasser les ruptures de la modernité pour des propositions qui visent à envisager l’art en tant que construction de concepts, à l’aide de percepts et d’affects, visant une connaissance du monde ? c’est ce que propose F. Guattari. Nous retrouvons à cette occasion la démonstration de D. Arasse de la place du concept dans l’oeuvre.
Du rôle occupé par l’œuvre dans les relations interhumaines, en découle la position d’artiste et la position dynamique de l’art dans le social. Rappelons que l’œuvre apparaît en société avant l’artiste, elle est d’abord attribuée à la qualité de la main avant qu’elle ne relève de la personne .
L’exploration des contenus en jeu qu’entretient l’ensemble corps-concept, matière-esprit peut ouvrir à la notion de forme. La forme vue comme cohérence , une œuvre d’art comme un tout, elle tient debout toute seule, elle ponctue les caractéristiques d’un monde en mouvement. Elle place ici la question d’une scansion, celle du moment où l’œuvre d’art est terminée . Dans la matière même va s’inscrire l’identité, en est-ce l’achèvement? La signature n’est elle pas là au contraire pour marquer l’inachèvement, un marquage individuel par rapport au collectif ?Ainsi la forme de l’œuvre contemporaine s’étend au-delà de l’aspect matériel, elle est un élément reliant, un principe d‘agglutination dynamique. Elle fait tenir ensemble des moments de subjectivité collectives liées par des expériences singulières, pour advenir dans le continuum d’un dispositif d’existence. Est-ce un mode transitif ? Ainsi du mouvement de l’art conduit l’œuvre à des destins divers qui s’inscrivent dans une temporalité de destruction, d’oubli, de préservation, de référence …..que de tensions en jeu .
Novembre 2019