Liminaire,
je propose de mettre deux moments de vie en vis à vis, celui qualifié de traumatique et celui qualifié d’esthétique.
De quels éléments se compose cette situation d’un instant sera la base de la première partie.
Pour cela l’argumentation sera soutenue en filigrane par une dimension que nous dévoilerons plus clairement en deuxième partie.
Situons avec plus de précision les termes.
Il s’agit d’un côté du traumatisme psychique.
En premier lieu, celui de la conception freudienne de la neurotica.
Je rappelle que l’exploration du symptôme hystérique envisagé comme maladie (autrefois comme manifestation d’une punition divine, comme possession),et que Charcot soutient comme d’origine psychologique, est d’abord menée par l’hypnose qui conduit à des effets de soulagement par catharsis et met en évidence le souvenir de scènes dites traumatiques ,déjà je change de registre si je parle de choc émotionnels.
C’est dans cette plongée traumatique que Freud met l’accent sur la dimension sexuelle à laquelle il se trouve confronté et qui révèle ainsi son importance. (A l’époque une partie du public s’est insurgée contre Freud de l’importance accordée à cette dimension sexuelle, avec le recul quand on voit l’ampleur du mouvement “me too“ on peut mieux envisager la prise en compte par lui de cette dimension comme révélation.) La dimension sexuelle va prendre par la suite une place centrale dans la construction psychique et aboutir à la conception de l’angoisse de castration et du complexe d’Oedipe. En effet le traumatisme sexuel ne constituant pas une source suffisamment vérifiée et opérante dans l’étiologie des névroses. (Freud se déprime). Vient alors en revoyant la pièce » Oedipe roi « ; l’idée que cette scénarisation d’un traumatisme sexuel est un drame prototype de notre imaginaire que doit surmonter chacun afin de poursuivre son développement psychique. La réalité traumatique dans la dimension sexuelle n’occupant qu’occasionnellement la place, a permit de dessiner les contours de ce qui se joue.

Remarquons le recours au mythe Grec Oedipe .Sa connaissance nous vient des pièces de théâtre de Sophocle. Peut-on dire quelle est l’œuvre de Sophocle ? Je pense que oui ; théâtre grec : texte et mise en scène ; masques, chœur contribuent au caractère tragique que vient ressentir le spectateur dans son inquiétude de l’existence, qui trouve sa transformation par une dimension artistique.
Notons au passage que la particularité des pièces de Sophocle est de faire intervenir les dieux qui président à notre destinée par l’intermédiaire des oracles ; textes obscurs.
Pour Œdipe
Un premier oracle de Delphes intervient pour les parents (pieds percés)
Œdipe consulte aussi l’oracle de Delphes qui répète sa prédiction
Œdipe consulte la Sphinx qui détruit Thèbes
Lorsque la peste s’abat sur Thèbes ,l’oracle ordonne de venger Laïos .
Remarquons que si un tel scénario existe, c’est qu’il est le reflet de ce qui peut se passer dans l’imaginaire. Avec le fait que les dieux expriment ici le devenir par des oracles, par une parole, c’est cette même parole qui reprise par le patient constitue le traumatisme en expérience et permet de le dépasser. Le patient s’appropriant le discours pour le faire sien.
Ce que dira Nietzsche dans » La naissance de la tragédie » montre bien comment le théâtre vient faire transparaître ce qui agite l’humain dans une mise en forme multiple. Le texte s’il pointe les questions n’est qu’un des aspects, qu’une des traductions, qu’une des apparitions, le prendre comme inducteur à la recherche de problématique humaine se fait donc sur une base assez éloignée des enjeux. Sophocle en s’attardant sur les oracles comme intermédiaires aux destinées que régissent les dieux, met sur cette voie.
Or ce que souligne Nietzsche, c’est la primauté du chœur, de la musique comme fondement de la représentation, du langage. Freud n’était pas sensible à la musique….
Force sera pourtant de constater que le devenir de psyché ne peut être tenu à l’écart du traumatisme, autre dimension qui réintroduit un fatum. En 1919 avec les névroses de guerre, l’impact du traumatisme est reconsidérée, il aboutira à la notion de fissuration/exclusion/rupture qui vient discontinuer une évolution, celle de l’instance du moi comme intégrateur. L’advenue de parties clivées, séparées vient restreindre les potentialités, le dynamisme, tout en augmentant les tensions.
Ce qui apparaît est le côté concept du mot traumatisme et le devenir de ce concept dans les propositions métapsychologiques. Le côté expérience traumatique est une autre dimension et nous savons que du trauma à l’expérience traumatique, il y a parfois un temps long, même si le choc émotionnel qui peut aller jusqu’à la perte de connaissance témoignage d’un départ, sa mémoire elle –même bien que présente n’est pas pour autant constituée pour une accessibilité qui ferait parler d’une expérience.
Notons que s’inscrit un principe de causalité, il nécessite une distinction avant/ après, origine/ effet, faite pour l’apparition des mouvements de désintégration, de dé-liaison, de dispersion, voire de-différenciation.
Restons en là sur le traumatisme pour l’instant. Nous savons que cette notion en psychologie rencontre toujours une grande audience, ce qui semble-t-il n’a pas été le cas pour l’esthétique.
Quant au moment esthétique, son rapport avec l’esthétique n’est pas d’avantage facile à expliciter.
Vygotski retrace les deux abords:
-L’esthétique a longtemps été abordée dans un courant des sciences spéculatives des idéalistes post Kantiens.
Pour Kant , elle relevait d’avantage du régime de la métaphysique.
Le beau ne relève pas de l’objet ,mais de la représentation qu’on s’en fait. Il survient lorsque les sens qui, intervenant dans la construction de l’imagination, ne l’a rend pas apte à fournir par l’entendement de quoi produire un concept qui conduise vers une objectivation vérifiable.
-En psychologie, c’est d’une façon objective que l’abord a été tenté depuis le 18 siècle . L’empirisme (expérience)de Locke et de Burcke montre que l’observation va ajouter à la valeur esthétique du beau, celle du sublime. Le beau était conçu en termes d’harmonie, de symétrie, de proportion, de régularité, d’ordre et de mesure. L’esthétique empiriste ajoutera une seconde valeur esthétique positive: le sublime. Il est une valeur caractérisée par la dysharmonie, la dissonance, la démesure, la disproportion, la dissymétrie, l’irrégularité. Là où le beau produisait le sentiment de la sérénité dans l’âme, le sublime produit la passion violente, l’alternance de peine et de satisfaction (sans pour autant susciter la terreur).
L’esthétique se présente ensuite comme une théorie du comportement. Elle qualifie :
“ Un état psychologique d’ensemble qui saisit et emplit l’homme tout entier, et dont une impression esthétique constitue le point de départ et le centre.“ (Kulpe et Volkelt).
A cela s’est ajouté que les mécanismes psychologiques qui déterminent les comportements esthétiques de l’homme sont chaque fois provoqués dans leurs actions pour des causes d’ordre sociologique :
actions /mécanismes : psychologique.
Détermination : sociologique.
“Ainsi aux différentes époques l’homme reçoit de la nature des impressions différentes parce qu’il la regarde de points de vues différents.“ (Plakhanov)
Quant à la psychologie subjective, par sa nature même l’expérience vécue comme esthétique est inintelligible dans son essence et son déroulement, elle reste cachée pour le sujet. Or cet état psychologique qui remplit l’homme tout entier ( Notons que le mot plaisir n’est pas mentionné dans l’école allemande) est repérable , et l’expérience esthétique se trouve incluse par A Maslow comme état paroxystique au même titre que la vie créatrice, la recherche intellectuelle, l’ expérience orgastique, l’aura épileptique il est possible de citer Dostoievsky (p58 Naccache) dans la bouche du Prince Mychkine :
“Mais qu’est-ce que ça peut faire que ce soit une tension anormale si le résultat lui –même la minute de sensation quand on se souvient d’elle et qu’on l’examine en pleine santé est au degré ultime de l’harmonie, de la beauté, et si elle vous donne un sentiment de plénitude invraisemblable, insoupçonnée, un sentiment de mesure, d’apaisement, celui de se fondre dans la prière extatique, dans une synthèse supérieure de la vie.“
Si son caractère subjectif ne met pas sur la voie de la compréhension, au moins une description peut en être donnée en confrontant les témoignages. Ce qui ressort : prend la forme d’une expérience de vie.
Cette expérience confère un sentiment de perception aigüe, de perspicacité, de connaissance essentielle. Il est relaté une perception d’une unité, d’un tout, sans relation avec le reste, sans utilité, sans calcul. Connaissance passive soumise à l’expérience, avec un trouble d’appréhension du temps, comme si elle constituait la perception d’une réalité indépendante de l’homme et persistante au delà de la vie. Avec une impression d’identité dira Snokin, entre l’objet et celui qui le perçoit, perception simultanée de tous les aspects et attributs, totalité y compris dans les inconsistances, les oppositions , les contradictions, fusion en un tout d’une unité supérieure dans une expérience auto validante.
Ce type d’expérience est vécue comme bénéfique, semblable à une expérience d’extase et s’ensuit: soit une excitation globale, soit un apaisement intense. Nous verrons également qu’il se présente comme une expérience d’identité.
Esthétique/trauma Que peut nous apporter la mise en parallèle des ces deux contacts
- Les points communs :
L’événement qu’il soit qualifié de traumatique ou d’esthétique est un moment daté et situé dans la vie. Ce moment pourra parfois être confirmé par des observateurs extérieurs.
Cela alors que parfois ce repérage n’a pu se produire dans le présent de l’événement, bien que le ressenti en était conscient. C’est qu’une configuration multifactorielle est requise pour faire expérience situant l’événement. Si la mémoire fixe rapidement quelques éléments saillants de la situation dans le mouvement engendré, c’est un travail de discrimination qui permet de pointer les différents facteurs intervenants, travail effectué dans un temps secondaire. (d’où le débriefing)
Pour le traumatisme comme pour l’esthétique, l’isolement de facteurs (par le sujet ou par un observateur tiers) ne permet généralement pas d’approcher la part contributive ou d’expliquer la variation dynamique de l’action de chacun dans la causalité de l’effet observé. Si ce principe de causalité linéaire pourra être un guide de recherche, il se résume ou se confond souvent avec une chronologie d’observations.
Notons au passage que les deux situations et expériences sont envisagées ici comme prototypes extrêmes, toutes les situations délétères ne font pas des traumatismes, toutes les situations esthétiques n’arrivent pas à cette expérience que l’on peut qualifier de sentiment océanique. Curieusement pour l’une comme pour l’autre rien n’est joué d’avance. Ce qui est traumatique pour l’un peut ne pas l’être pour l’autre, ce qui est ressenti esthétique pour l’un ne l’est parfois pas pour l’autre, et même parfois pour un même individu l’effet varie selon le moment, le contexte, ce qui complique l’étude.
Du coté de l’individu justement le repère dans sa trajectoire de maturité d’élaboration a son importance.
-les points d’opposition :
Si le trauma est marqué le plus souvent par l’imprévisibilité, la surprise, la brutalité, l’impréparation à la submersion, l’expérience esthétique nécessite parfois du temps, une préparation, une disposition d’esprit, un temps d’expérience plus long, avec une participation active de l’attention avant que n’apparaisse cette sensation spécifique.
Deux situations;
Dont l’une : Le trauma initie de la destruction, du morcellement, de la rupture, de la fuite, de la peur, du repli, de la sidération, avec un résultat d’épuisement.
L ‘autre: l’événement esthétique initie une dimension d’apaisement de plénitude, de stimulation dynamique, d’ouverture , parfois dans une prise de conscience particulière de soi et du monde qui amène une sorte de nouveau regard sur soi et les objets du monde. Ceci dans une forme de communauté de liaison en prise avec le monde où l’individu est lui même inscrit.
De l’événement à l’expérience
Ce ne sera que postérieurement, lorsque l’attention est attirée par des bribes mnésiques, qu’un cheminement mettra l’expérience en évidence. Ainsi s’étaient constitués dans la mémoire des éléments actifs pendant une durée indéterminée en instance d’une prise de conscience resituant une configuration susceptible d’être réintégrée dans un ensemble, une trajectoire. Mais ce travail retour, pour le trauma se heurte à son effet de morcellement, comme pour l’esthétique il se heurte à son effet propulsif.
Cette dualité qui n’est pas sans rappeler cette conception de la pulsion chez Freud qui oppose pulsion de vie /pulsion de mort. L’une énergie d’organisation de liaison, l’autre de désorganisation déliaison. Même si Freud n’a jamais opposé expérience traumatique et expérience esthétique.
-Peut on penser un croisement des deux mouvements ?
La question du sublime envisagée comme sidération,débordement, comme le laisse supposer l‘approche de Lyotard citée par Rancière P120
“L’esprit mis en défaut, sommé d’obéir à la tâche impossible d’approcher la matière, de saisir la singularité du sensible“. Retournement de la position kantienne pour qui c’est l’inaptitude de l’imagination à présenter à l’esprit une totalité.
C’est aussi par un autre abord ce qu’évoque P Quignard lorsqu’il dit que “Platon faisait de l’effroi le premier présent de la beauté.“
Chapitre premier Un Médium
Isoler ces expériences, en constituer une description, un “tableau“ un “scénario“ pose secondairement les questions de l’articulation, de l’organisation, du plan, voire du mouvement entre les éléments décrits en co-présence. Si causes il y a, c’est que l’intervalle n’est pas vide. Un médium, un lien, d’une autre nature non encore décrite intervient.
Pour cela le recours à des métaphores a été utilisé dans l’approche de la causalité impliquée dans ces situations. Il a conduit à des restrictions de compréhension et à des impasses.
Par exemple du coté du trauma, facilement vient en tête par une métaphore concernant les boules de billards. Leurs courses sont déviées par le choc, voire même que l’une des deux vole en éclat. Belle illustration d’un impact, qui nous fait rester dans une logique énergétique newtonienne qui nous est familière.
Mais si du coté esthétique vient en tête des mécanismes vibratoires, aspects maintenant invoqués par les artistes, les spectateurs, nous voilà dans une mécanique vibratoire.
Autre théorisation qui reste loin d’épuiser les théorisations physiques. .
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Puisque nous sommes sur le terrain du devenir de l’humain en référence à ces moments, interrogeons nous sur la question à partir de la nature de nos liens au monde, de ce qui est le plus proche: nos semblables, pour l’étendre ensuite à notre environnement.
Sur ce terrain commençons par choisir parmi les systèmes d’interrelations au monde celui qui passe par notre système dédié de communication avec l’environnement, celui de nos sensibilités et qui en constitue une organisation. Avec en parallèle celle d’un retour actif moteur. C’est l’ensemble qui fait relation.
Avec nos semblables, Le choix de l’empathie me paraît répondre à ces critères et va nous laisser près des problématiques évoquées. J’aurais pu procéder par l’étude des productions humaines comme médiateur relationnel, le langage verbal, l’expression artistique. C’est ce que fait Vygotski lorsqu’il étudie la psychologie de l’art. En lui -même ce médiateur est porteur de qualités requises à la relation. L’entrée par l’empathie est directement psychologique, de plus sa place est vitale et pourra servir de point de départ vers de multiples directions.
Tout de suite, nous pouvons situer nos deux expériences dans cette référence. Celle d’une perception globale, empathie, sensibilité d’une atmosphère qui se déploie.
Le traumatisme : comme rupture de la fonction de ce lien par exemple lorsque disparaît un acteur.
A l’inverse l’esthétique comme harmonie dans le fonctionnement du lien qui permet lorsque les acteurs sont bien présents le déroulement d’une mise en forme de l’interrelation.
Mise en scène autour de l’inter relation, l’inter action sous forme d’un rôle tenu par le Nebenmesh. Nous pourrions en trouver une expression artistique chez Michel-Ange si le contexte,le texte ne précédait pas le tableau pour en fixer la lecture , mais l’art ne consiste-t-il pas à aller au delà?
Le concept de Nebenmensch chez Freud :
Cet être humain proche que notre néoténie (immaturité à la naissance) humaine rend nécessaire à sa survie. Présence proche dont l’attention est attirée par l’état de l’infan . Non seulement ce proche apportera les réponses dans le prolongement de ce qui s’exprime la faim, la douleur ….. mais Freud dira :“C’est au contact de l’être humain proche que l’être humain apprend à se reconnaître.“ Se reconnaître c’est aussi ne pas se reconnaître c’est dire être confronté à cette part non reconnaissable: Das Ding précise Cabrol.
Ce concept de Nebenmensch en tant que sujet parlant , amène Lacan à cette formulation :“l’expérience de satisfaction est entièrement suspendue à l’autre, et c’est à ce Nebenmensch en tant que sujet parlant que tout ce qui se rapporte aux processus de pensée peut prendre forme dans la subjectivité du sujet . “ autrement dit cette reconnaissance passe par l’appropriation des mots de l’autre qui se déployant dans l’espace vont être reformulés pour exprimer soi.
Dans cette expérience de satisfaction que convoque Lacan , nous savons maintenant que si elle inclut la sensation d’un plaisir sexuel de la tétée, c’est dans le contexte de bien d’autres stimuli dont :le portage, l’odeur, le son, le regard. Rappelons l’importance du visage, premier reconnu, dont l’expression est fondamentale dans le repérage des émotions qui le traverse. Tout ceci constitue le chemin de l’empathie (en particulier la vue du visage ), cette communication d’ambiance .
La satisfaction de quel ordre est –elle? Peut-on considérer qu’il pourrait exister un aspect d’élation esthétique dans cet accomplissement. Accomplissement qui bien au-delà de la satisfaction alimentaire et érotique, pourrait avoir valeur d‘un renforcement vital, si la tonalité d’une synchronie participative y contribue. Si à ce moment conscience il y a, elle est encore en construction du sujet parlant.
Reste que ce Nebenmensch y compris pour Freud ne se résume pas à la mère ni même aux parents, il s’étend à tout humain expérimenté qui porte attention. Lorsque cette forme de relation empathique se rencontre, elle peut ouvrir à un développement, réciproque parfois.
Cette rencontre fournira les repères sur l’importance que certains individus pourront occuper dans le devenir.
C’est ainsi que certains professeurs, éducateurs, maitres, dans ce contact si particulier où une “résonance“ entre en jeu verront se déployer à ce contact certaines aptitudes bien au-delà de ce que permet l’unique abord des contenus. Le cas de l’artisan qui transmet sa façon, du professeur qui transmet sa passion, de l’artiste, tous l’occasion de rencontres qui vont parfois constituer une base de projet déterminant un avenir.
Entre les deux interlocuteurs, ce qui s’est produit à permis qu’advienne un dévoilement suffisamment efficace pour entrainer une dynamique dans le temps de la subjectivité du sujet.
Le focus sur cette situation éclaire radicalement ce que l’énoncé ou l’absence d’énoncé, ou l’absence de parole en situation aura comme impact dans le processus de pensée dans la subjectivité du sujet. Premières impressions dont chacun sait le travail nécessaire pour s’en départir, les dépasser. Ce dont témoigne le travail analytique où l’interprétation, c’est –à-dire ce qui fait changement ne survient que lors de la mobilisation par le langage des affects repérables.
Ce qui est difficile à comprendre est que le réseau empathie réflexe suscité par la proximité d’autrui, ne résume pas l’ensemble de la dynamique de la relation, mais s’intègre dans une trame pour lui conférer une tonalité de support.
Si l’empathie dans sa mise en place ne nécessite pas une attention conjointe attention relationnelle bilatérale, la situation de Nebenmensch nécessite cette double entrée avec cette possibilité d’une circulation entre les deux pôles. Qui plus est, une adéquation des possibilités de contenu pour que soit possible une circulation afin qu’apparaisse à ce moment la dimension de satisfaction de la possibilité éphémère de sa survenue.
C’est la réappropriation de ce que fournit cet espace qui va justement faire différence, faire différance dirait Derrida.
Ceci l’infans l’a déjà mis en œuvre par son action. Ce que Freud ne pouvait prendre en compte :
C’est que le fœtus dans son développement a déjà, par la mise en place de ses appareils de motricité et sensibilité, entamé son accès au relationnel. Ces appareils sont les médiateurs, ils font partie du corps, oui ils sont apparus dans le développement de la vie, mais par exemple c’est à la fonction que vous avez accès pas à la chose. Vous apprendrez également qu’il y a dans le corps plus d’éléments étrangers que d’éléments issus directement des cellules du corps pour le faire fonctionner et vous n’y avez pas accès non plus. Nous restons dans l’idée que cela fait partie du corps. Notons que les systèmes mis en place sont spécialisés c’est à dire découpent des champs d’informations.
L’odorat et le goût ont leurs récepteurs efficaces assez tôt. Si bien que si la séquence temporelle est repérable, la spatialisation ne l’est pas. Déjà un peu différent pour le goût, qui n’est perçu que lorsqu’il avale un liquide amniotique aux goûts variés. Notons qu’il s’en souviendra, comment ? Nous ne savons pas. Cependant après sa naissance un enfant qui connaît l’ail ira plus vers une nourriture aillée qu’un autre. (Expérience faite qui distingue les gens du midi des gens du nord.)
C’est ensuite la sensibilité qui devient fonctionnelle vers 5 mois, et avec elle les prérequis de la connaissance du corps propre et du corps autre sont construits. Sous quelle forme serait une question.
Remarquez la sensibilité est un terme générique, il y en a un certain nombre dont la température, les autres sont à base du tact y compris la douleur, avec une répartition des récepteurs profonds dans le corps ou en limite . Enfin banalement nous avons 2 mains, endroit le plus tactile, pourquoi 2 et nous verrons pour les autres sens ce sera aussi le cas, 2 sources symétriques, et porteuses dans l’information de différences. Parallèlement l’évolution motrice affine le geste.
L’échographie nous a beaucoup appris sur la vie du fœtus, ainsi il a pu être observé des mouvements où le fœtus touche la paroi utérine, ce qui engendre chez lui un point de sensation avec son contingent tactile et émotif. On observe aussi que l’enfant se touche différentes parties du corps, il reçoit alors deux sensations : celle de la main qui touche, celle de l’endroit où il est touché. Ainsi une nouvelle différence de perception peut se pointer.(avant droit et gauche apportent aussi du différent) Peut –il de cette façon commencer une cartographie de son corps et de ce qui l’entoure ? Probablement pas mais les prémices sont posées.
Remarquablement l’échographie a aussi montré qu’un dialogue du toucher intervient: lorsque la mère pose la main sur son ventre, il arrive que l’enfant vienne mettre la sienne en face de l’autre coté de la paroi.
Lorsque l’enfant nait, il est alors touché sans que lui même ne touche. De même ses deux oreilles touchées par la vibration du son sont déjà bien opérantes, il a déjà entendu des rythmes celui du cœur de la mère, celui de son cœur, des sons divers, de la musique, des voix multiples, on sait qu’il y réagit. Or cela ne se fait que dans le semblable il convient que les fréquences émises soient compatibles, qu’il y ait une adéquation. Lorsqu’il nait, son cri dans des fréquences semblables va lui faire prendre place dans cet univers, et s’associe de fait sa différence sonore à son action. Peut on penser qu’il s’est accaparé le son, Y a t –il là aussi les prémices d’un soi ? qui implique ce rapport à .
Le cri qui « est une expression immédiate de vie, non distincte de celle-ci, non Intentionnelle et non figurale, où se conjoignent et se sonorisent les deux traits d’essence de toute vie, l’affect dont elle est tissée et la force qui la meut »18.
Le son a un avantage, c’est une onde, une vibration, il est là depuis toujours avant l’homme, c’est le son, par ce qu’il est, qu’il se permet de s’inscrire dans le corps. Cette réception affinée amènera une production modulée par la suite. Au point que ce corps va en dépendre dans sa conformité, son action.
Cet advenu dans le champ de perception humaine : son analyse qui permet le semblable /différent, rend possible de voir le prototype de la relation empathique au monde, la question peut se poser. L’homme est son ? voilà la position esthétique, ce moment fugace de la prise de contact avant qu’elle ne soit intégrée.
C’est ce saisissement qui deviendra la source, l’ouverture vers toute une activité qui cette fois est localisée pour faire individu.
Y a t il dans cette prise de mesure du soi la possibilité de l’autre comme élaboration de la sensation/production est la question qui en découle. Ce qui ne résout pas le problème du lieu du soi nous le verrons.
Le dialogue du toucher ici évoqué me paraît le prototype de ce que Freud qualifie de contact de l’être humain proche , et nous partageons la suite de se reconnaître ainsi, j’ajouterai aussi bien que de se différencier. Quant à la tonalité affective de ces moments, elle reste à énoncer.
Chapitre Deuxième. De l’esthétique à la psyché, et nous la dedans ?
Revenons sur ce moment fusion vers de l’advenu, j’avais d’abord écrit impact, je modulerai par l’inflexion, la modification portée sous le registre de l’aisthésis forme originelle de l’esthétique qui vient se configurer sur notre action.
Où la rapporter dans notre conception de la psyché ? au soi ? au moi ?au je ?
Le moi
Ce qui se produit pourrait se constituer en une expression de ce qui m’est arrivé, pour laquelle en prolongement je serai en mesure d’en établir une narration, histoire banale en soi. Celle ci pourrait être aussi celle des motivations, voire des causes ; Nous pourrions à ce propos convoquer nos désirs et ce que nous nommons notre libre arbitre qui transformerait ses règles avec l’avancée des arbitrages. Ainsi se trouve le moi y compris au sens freudien sur le terrain des actions dans la perspective évolutionniste.
C’est lui qui dans sa synthèse va permettre de constituer l’expression de ce qui peut se dire dans la relation (supprimant les affects inopportuns) . Cette situation de rapporter par le langage une expérience est la définition de la conscience retenue par les neurophysiologistes Agid et Naccache par exemple
Le je
-Depuis la position de Descartes de la séparation du reis( l’étendue) et de l’esprit, avec le je pense donc je suis qui met le je dans une abstraction identitaire, nous assistons à l’évolution de la notion
-Avec Kant et cette dimension du je transcendant, critique du raisonnement, du jugement .En passant par la conception lacanienne d’un je fondé sur le stade du miroir . Reconnaissance d’une forme première organisatrice ;
-Attardons nous sur la proposition de Mildred Galland Szymkowiak (philosophie phénoménologique et psychanalyse.) elle pose cette question du sujet de l‘expérience esthétique pour en esquisser une approche : Elle se lance sur un terrain que nous n’avons pas encore convoqué: le visuel.
“Celui qui regarde le tableau, ce qu’il perçoit d’affect et son retour de mouvement constitue le je de l’objet esthétique.“
Je se sent dans l’objet esthétique, au sein d’une boucle où le je constitue l’objet esthétique et par retour s’en retrouve affecté. Ce qui rend possible de l’envisager comme un processus de symbolisation.“
Deux remarques :
-Ce processus de symbolisation est un peu différent de ce qui s’entend par symbole dans la mesure où la convention inter humaine n’est pas précédente, C’est davantage la communauté sensible qui précède la position symbolique. Il y aurait beaucoup à dire sur le processus de détachement du symbole de sa racine sensible un bel exemple est évoqué dans « L’origine de la tragédie » par Nietzsche ou par le passage du grec au romain par la traduction qu’il établit, ou encore dans l’évolution du chant religieux au cours de la chrétienté.
La deuxième remarque porte sur le fait que la vue joue ici un rôle de premier plan et nous en verrons le cheminement plus loin P147 Arnheim.
Or dans l’expérience esthétique au rôle des relations entre et avec les représentants soutenu par Voltkelt va s’opposer l’approche de Stern.
Si d’un côté pour Volkelt, cette connexion corps esprit dévoilée par soi-même donne un élargissement affectif au delà de lui-même. Elle est originaire d’un mode affectif de l’existence une humeur, une atmosphère, celle du je du vouloir.
D’un autre pour Stern l’empathie esthétique contribue à l’auto déploiement, jouissance de soi par résonance, tant sur le moi caractère que sur le moi actif.
De fait l ‘empathie vis à vis du tableau paraît bien proche d’une empathie de la figure humaine, chacune étant, remarquons le, d’origine humaine, ce qui contribue ici à cette proximité.
C’est à ce moment qu’il est intéressant de s’attarder sur les considérations de Arnheim(psychologue, théoricien art et cinéma) sur –la pensée visuelle particulièrement dans le chapitre cognition intuitive-cognition intellectuelle. La vue et la lumière nous ne nous étions pas encore attardés. La cognition intuitive se situe dans le champ perceptif de forces en libres inter actions, par exemple pour le tableau: formes couleurs, ce qui est aussi le cas du visage humain exprimant une émotion. Les rapports qui unissent ces composantes exerçant un effet perceptif l’une sur l’autre, l’image résultant de ces inter-actions est un processus complexe, en général une très faible partie atteint le niveau de conscience.(P247)
Par opposition à la cognition intellectuelle position du critique d’art par exemple. Elle procède par identification des différentes composantes et des différents rapports que constitue l’œuvre, l’esprit cristallise les concepts perceptifs extraits de l’expérience directe. L’esprit acquiert des formes stables qui sous tendent une certaine cohérence.
Les composantes de la pensée intuitive agissent les unes sur les autres au sein d’un champ continu. Celles des processus intellectuels se succèdent dans un ordre linéaire (faute de pouvoir présenter plusieurs choses en même temps dans un discours.)
Si les deux dimensions peuvent se compléter (utilisé dans l’éducation ; dessin discours) le langage peut renforcer la réalité perceptive en la préparant aux rapports logiques.
Ce qui est dit là pourrait aussi bien se rapporter aux autres sensibilités selon la prédominance utilisée par la pensée dans sa figuration.
-Or cette approche notons le met de coté la dimension affective du langage, or que serait un langage affectif. Cette question Lyotard se la pose pour y répondre :
-Ou bien elle serait une langue connotée au sens strict, où une langue de culture organisant le sensible au sens strict.
-Ou bien à défaut dit Lyotard d’être une véritable langue de communication, cette langue serait celle que parlerait l’inconscient du poète, et nous ne pourrions entendre le message qu’à condition de disposer du même code que l’émetteur. Ce que Lyotard replace au niveau de l’empathie plus précisément einfulhung . Il est alors précisé : la poésie est intéressante non par son contenu, mais par son travail. Le poème peut bien induire des images chez le lecteur, il ne le fait qu’en se désolidarisant de ses images phantasmatiques, en lui ouvrant le laboratoire des images qui sont des formes P 322
C’est-à-dire la libre circulation de l’énergie avérée.(p385) Il ne s’agit pas du plaisir de satisfaction du désir, mais du merveilleux dévoiement de son jeu.
La subjectivité
Ainsi nous pouvons maintenant aborder ce que Guattari propose de décentrement du sujet sur celle de la subjectivité.
“le sujet a été conçu traditionnellement comme essence ultime de l’individuation, comme pure appréhension pré-reflexive vide du monde, comme foyer de la sensitivité de l’expressivité unificateur des états de conscience. Avec la subjectivité on mettra plutôt l’accent sur l’instance fondatrice de l’intentionnalité, instance exprimante (l’interprétant de Peirce) p52 Avec la notion de substance expressive P56 subjectivité pathique en deçà du rapport sujet objet en deçà de ce rapport discursif et plus largement à l’origine même du rapport contenu/forme. Cet en deçà n’est pas confusion, Cet erlebnis associé à l’intentionnalité qui se déploie.
Notre propos était de montrer le caractère central de cette subjectivité dans notre trajectoire, dans le fait qu’elle donne accès à une connaissance ontique par le rôle qu’y joue traumatisme et expérience esthétique en nous intéressant à l’expérience esthétique comme repère de l’’élan, de motivation.
Je rappelle la définition de ontique : existence physique, réelle ou factuelle, actuelle par rapport à la dimension virtuelle généralisée qui fait de cette chose ce qu’elle est.
C’est justement toute la thèse de Kandinsky sur une ontologie que va analyser Michel Henry (philosophe): “tout élément est double extérieur et intérieur à la fois, apparence et tonalité à la fois“. C’est sur cette base qu’il construira son œuvre : peinture qui pour être abstraite mais néanmoins peinture, afin d’entrer dans le sensible.
La ligne p88 : La tension du point, c’est à dire la force concentrique par laquelle il refuse l’espace et le mouvement vers lui, peut être combattue et surmontée. Il suffit pour cela qu’une force autre que la sienne, agissant sur lui de l ‘extérieur le chasse du lieu (du non lieu) en lequel il se tient par son vouloir propre. Cette force dit Kandinsky avec la précision du langage poétique, se précipite sur le point ancré dans le plan , l’en arrache et le pousse dans une direction quelconque. …. direction qui demeure la même aussi longtemps que cette force ne change pas, c’est la ligne.
La couleur p 125
“Il est vrai qu’il y a une apparence de couleur s’étendant sur la chose, se confondant semble t il avec sa surface, avec son extension. Mais cette couleur aperçue sur l’objet ou de la même façon sur le tableau-cette couleur objective “noématique“ comme dit Husserl-est seulement la projection dans la chose d’une sensation de couleur qui n’est qu’en temps quelle est sentie et qui n’est sentie qu’en temps qu’elle se sent elle même dans l’invisible de son affectivité.“
Il est maintenant temps d’aborder la question du soi , de l’être
Il est possible en prototype de reprendre et préciser la question du toucher vu par les philosophes, Les formulations proposées dans le précédent chapitre faisaient référence à Merleau Ponty et à JL Nancy qui apporte une notion supplémentaire :
“Tout nous touche « au dedans » car toucher c’est précisément faire résonner entre mon corps et un autre corps une vibration qui ouvre au « dedans » ou plutôt une profondeur indéfinie et peut être infinie que nous disons sous la peau (des choses vivantes des humains)mais qui n’est pas plus dessous que dessus qui est partout, hors lieu vibrant concentré en et par ce lieu précis de la touche.“
Pour la suite de mon propos je vous demande de retenir ce hors lieu vibrant vers lequel nous reviendrons.
Ce qui se prolonge par la question: sentir/se sentir.
Avec le constat que “ce qui écarte de soi, le soi à soi même, c’est le corps. Le fait du toucher, l’expérience du dehors comme ouverture du dedans comme impossibilité ,bien plutôt que le dedans soit simplement “ en soi.““
Hegel est ici immanquable ; l’en soi ne reste pas en soi, parce qu’il est soi, il devient “pour soi“ Ce qu’à repris Sartre à la suite de Heiddeger dans les trois abords de l’être : l’être en soi, l’être pour soi déterminé par la conscience du sujet, et ce soi pour autrui comme chose.
Troisième chapitre l’expérience esthétique insérée dans le cours de la vie.
La chose est visuelle
Les expériences esthétiques semblent universelles et pour les activités les plus diverses : j’en cite comme témoin un article de Mainchi Shimbum dans courrier international du 13 juillet, sous la rubrique “vivre libre“ Bunsho HAttori alpiniste japonais dans son livre “ à ceux qui désirent vivre sans dépendre de l’argent. “Il évoque l’instant où il eut l’impression de se fondre dans le paysage, de devenir un élément de la montagne, son égo et ses désirs disparus. C’était ce qu’il cherchait. Mais dès qu’il a essayé de sonder l’essence de cette sensation, il a retrouvé son égo habituel.
Cela s’est il produit chez Heidegger ? qui a vécu cette expérience P127 cité par Isee Bernateau dans “pourquoi restons nous en province“ En 1933 (la même année ou dans son appel aux étudiants ,il rend un vibrant hommage à Hitler) il écrit :
“Lorsque dans la profonde nuit d’hiver une tempête de neige se déchaine et fait rage autour du chalet qu’elle ébranle ,que tout se couvre et est enseveli, alors il est temps de philosopher“
Il est bien dans la suite de Schopenhauer :
« De même que sur l’océan rugissant et à l’horizon infini, qui en mugissant ,fait monter et descendre des montagnes d’eau, un marin assis dans sa barque ,se fie à son faible véhicule, l’homme singulier se tient calmement au milieu des tourments, rassuré par le principium individuationis auquel il se fie ou par la manière dont l’individu connaît les choses comme phénomène.“
“ Le bien être de l’instant voilà ce qui seul a de la réalité pour lui. “
Citation que reprend Nietzsche pour ajouter : le calme de cet homme dépendant du principe d’individuation a reçu à travers lui (représentation) son expression la plus sublime. Elle se constitue dans le déluge.
On comprend mieux pourquoi cette question du dasein est au centre du travail de Heidegger . Pour autant si on considère ce travail comme œuvre, on sait dira Vygoski l’impossibilité qu’il y a de s’élever de l’œuvre à la psychologie de son auteur. Et que toute idéologie s’accomplit toujours avec une conscience fausse où sans qu’on en ait conscience. D’où la difficulté qui peut s’y retrouver dans le parcours de l’auteur.
Heidegger s’est intéressé justement au processus de création:“De l’origine de l’oeuvre d’art“ Il a commencé d’écrire probablement en 31-32 cette conférence, le texte préparatoire est accessible. Cela permet de voir justement la différence avec le texte de la deuxième mouture de la conférence en 1936 publié en 1962 en France. Regroupées dans un livre sous le titre :“les chemins qui ne mènent nulle part.“ Or ce titre fait référence directement à l expérience esthétique de Heidegger dans les chemins forestiers , les sentiers d’abattage en forêt, promenades pendant lesquelles il élabore semble-t-il ses pensées. Cette dimension pour notre lecture de français échappe complètement jusqu’à investigation, seulement voilà lorsque Heidegger pense en montagne, ce serait la montagne qui pense à travers lui, elle pose sa pensée. Dans son illustration par le tableau de Van Gogh « les souliers‘ apportée après 1933, il va convoquer cette dimension qui laisse à penser que la vue du tableau à probablement provoqué chez lui l’effet d’une expérience esthétique , et tout le lien qu’il introduit entre le pied et la terre.(on retrouve les mécanismes décrits aussi bien par Volkelt que par Stern.)Si bien que la vue du tableau des chaussures fait par Van Gogh n’aura pas d’autre effet pour lui que la quête de la résurgence de cette expérience esthétique dans un idéal de fusion, de confusion, qui en ferait pour lui oublier qu’il s’agit d’un tableau(il serait possible ici d’envisager une interprétation psychanalytique ;incestualité:terre mère,et mécanismes de projection). Derrida en fait la remarque et nous remet sur le chemin de la vérité, ce n’est pas la terre qui fait la vérité du tableau, c’est par le temps du tableau que s’acte, se dévoile la vérité. Il y a le peindre du peintre.En d’autres termes la dimension du vivant,ce que néglige l’idéologie.
Carine Karachi par exemple pour rester près de nos activités, elle est neuro-chirurgienne à la Salpêtrière, met à l’origine de son choix d’activité le choc esthétique de sa vision de l’intérieur du cerveau lors de son cursus. Elle l’associe aux explorations sous marines.
Cette référence est plus fréquente chez les créateurs, les artistes en particulier :
Voir une citation de Proust par Michel Neyraut dans son livre Alter ego p 22.
”je n’avais cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier, il me semblait que j’étais moi-même ce dont parlait l’ouvrage :une église, un quatuor, la rivalité de François premier et de Charles Quint .“ (du coté de chez Swann)
Nayraut commente cette citation pour introduire à quel point l’identification relève d’une logique de l’être. La logique de l’être s’applique à démontrer que le moi ne se constitue que de moments, et de moments qui absorbent l’objet au point de s’y confondre. Ne serait ce pas le qualificatif de subjectivité qui pourrait s’appliquer ici pointant ce qui fait lien, mettant en question la logique.
La chose est son
Un exemple en Musique peut se trouver sous la plume de Mozart dans une citation extraite d’une lettre à son père à l’occasion de l’opéra Idoméno en 1781(25 ans)
« Ma tête et mes mains sont tellement prises par le troisième acte qu’il n’y aurait rien de miraculeux si j’étais transformé moi-même en troisième acte.“
Si nous restons auprès des artistes, lorsque Frank Maubert interroge Francis Bacon sur ses premiers chocs esthétiques, celui ci évoque l’obsession du cri, le spectacle du corps dans un état de crispation qui l’aura le plus chamboulé. Thème qui se retrouvera dans ses tableaux. On revoit ici ce que nous avions évoqué avec Kandinsky le cri et la peinture. Le cri ressenti qui précède la capacité d’une expression plastique. Il y a quelques années une exposition prenait ce thème , et re-interprétait la statuaire greque la plus classique en ouvrant la bouche de certaines statues connues, Effet saisissant où c’est l’ouverture ,le trou ,l’absence , qui alors empli d’un invisible le cri.
J Thélot élève de Bonnefoy s’est aventuré dans l’hypothèse que toute image vient d’un cri. Des représentations picturales qui vont de Pallaiolo à Munch ou pour la première fois c’est le cri qui fait tableau par la déformation qu’il imprime au réel.
En passant aussi par la sculpture du Laocoon à Raymond Masson, dont je ne peux m’empêcher de convoquer l’image de l’agression du 48 mR Le prince et dont le commentaire de l’auteur :

L’AGRESSION AU 48 DE LA RUE MONSIEUR-LE-PRINCE, LE 23 JUIN 1975
L’Agression relate un événement réel survenu à quelques portes de mon atelier. Au volant de ma voiture, j’avais envoyé mon compagnon voir ce qui s’était passé. Un ophtalmologue, très connu dans le quartier, avait été poignardé et laissé pour mort. Quand son corps, sur une civière,fut sorti dans la rue : « le sang coulait sur son visage tuméflé comme un dessin rouge sur un fond bleu paie », m’a raconté mon ami, fils d’un peintre.
Jaloux de ne pas avoir vu la scène, j’ai décidé de la reconstituer à ma façon. Le sujet de la sculpture devenait une apparition de l’effroi dans la vie ordinaire, ainsi qu’advient toujours la tragédie. Je cherchais à tendre l’espace dans ma petite boîte vitrée entre le visage convulsé de l’épouse et le sourire de la jeune fille qui suce sa glace fraise-pistache, ne se rendant compte de rien.
Chapitre 4 Comment nous nous faisons ; la redistribution des places
A partir de ce moment d’ouverture ; ça y est , ce n’est pas seulement la perception globale d’une atmosphère, c’est aussi la sensation d’en être, avec un certain apaisement. Il reste dans tout ça à s’y repérer dans la mesure où nous bougeons. C’est -à-dire donner du sens pour se diriger. (C’est la définition la plus simple du sens)
Que nous apprend la neuro-physiologie qui puisse nous éclairer.
Toute perception et ici je prendrai les travaux de Naccache qui parle surtout de la perception visuelle dans son livre le cinéma intérieur. Toute perception s’avère être ponctuelle. échantillonnée, discontinue et pourtant paraît totale. Pour cela l’information est transmise au cerveau sous forme d’impulsions électriques. Il qualifie le phénomène de : transduction. Le phénomène électrique est particulier il s’agit de Potentiels évoqués de 2ms à une fréquence qui peut aller à 100par seconde et qui se déplace le long du nerf à 100m/s . Remarquons que cette perception est déjà en elle même organisée selon les possibilités des systèmes de traitement par un ensemble d’échantillons correspondants aux différents capteurs. Des messages transmis le cerveau va en tirer différents résultats, selon ce qu’il aura mobilisé de capacités. Reconstituer l’image (formes couleurs proportions, c’est l’image produite par notre machinerie, ce n’est pas le cheminement optique, elle est entièrement dépendante du système qui construit) 13 images par seconde au niveau occipital, soit environ le traitement de un dixième de seconde d’informations de base), sa tonalité ? sa signification ? autant de modules qui nous le savons renvoient à différentes régions du cerveau qui se mettent à fonctionner.
Fonctionnant la construction de l’image cérébrale prépare la venue de l’échantillon suivant une sorte de continuité s’instaure qui correspond ou pas à la suite reçue avec ses variations, qui sont à son tour une nouveauté à traiter : les variations, puis vient les variations des variations, jusqu’à un niveau d’une certaine stabilité par extraction d’une constante. Soit que le système qui envoie les échantillons ne soit plus à même de les varier par incapacité ou parce qu’il n’y a pas de variation. L’enclenchement d’une réponse situe également cette stabilité. Repérage suffisant pour s’engager même si des corrections viennent à se faire pendant le déroulement. Tout çà en gardant actif cette première perception d’ensemble à laquelle chaque analyse se rapporte.
Ce qui se construit là, c’est à la fois le monde, et le système d’appréhension : nous, selon des formes ? qui conditionnent.les mémoires, traces internes.
Elles peuvent être mobilisées par différentes entrées alors même que la perception n’est pas actuelle.
Le mot par exemple peut chez certaines personnes mobiliser l’image, tant au dire de la personne qu’à l’examen des circuits du cerveau qui produisent l’image.’ Il est à noter que la représentation abstraite de la forme des mots peut être aussi bien visuelle que tactile et que cette forme s’active à partir des mots entendus).
Il y a bien là configuration de notre cerveau par ce qu’il reçoit, du courant, il arrive depuis le récepteur qui lui reçoit du son de la lumière de la pression selon un déroulement formel. Formel dans l’acceptation de figuration, présentation. Formel renvoie donc ici à “informations“ pour une représentation construite.
Si je dis ce mur est dur froid et rouge, c’est uniquement dans une différenciation avec moi en particulier. Dur/mou ( plus dur que moi ) ,froid /chaud (plus froid que moi) , rouge, une longueur d’onde perçue (pas de récepteur pas de perception, pas de rouge). Tout se réfère à moi par moi, puisque c’est moi qui bouge, et maintenant je sais subjectivement ce que je peux. Ce que je peux précède le langage, mais le langage va diversifier, et me conduire vers d’autres horizons, conceptualiser : le solide (mur) a une densité, une résistance, une température, reflète une longueur d’onde. Un étalonnage des différentes dimensions dans l’intérieur de celles –ci va alors guider mon action.
Le nous est conscience, Naccache y vient par ce qu’il appelle la disponibilité cognitive tous les modules spécialisés fonctionnant en parallèle permettent à une multitude de représentations mentales de coexister. Il arrive une sorte de point critique où l’information est transmise à un espace global, une fois accédé à cet espace une représentation est consciente et immédiatement accessible à l’ensemble de nos facultés.
Parmi lesquels le module du langage que nous savons formé d ‘éléments discrets, distincts qui vont être en mesure de se mobiliser.
A ce niveau global un échantillonnage pour se réaliser va prendre 1/3 de sec en tout. Ce que tend à montrer les protocoles scientifiques de mesure. .La conviction de faire un avec soi même et de continuité du monde relèverait donc d’une fiction que construirait notre activité cérébrale. Pourtant une certain recul vis à vis de cette fiction est aussi bien décrite par Proust dans Albertine disparue P121 Naccache)
“et ainsi à chaque instant, il y avait quelqu’un des innombrables et humbles moi qui nous compose qui était ignorant encore du départ d’Albertine et à qui il fallait le notifier ;il fallait ce qui était plus cruel que s’ils avaient été des étrangers et n’avaient pas emprunter ma sensibilité pour souffrir.“
Neyraut michel en fait état p22 “le moi se constitue que de moments, et de moments qui absorbent l’objet au point de s’y confondre.“
A la question faut il en déduire que l’activité électrique et l’activité psychique sont deux aspects d’un même, Naccache ne tranche pas.
Pas plus que De Loof (biologiste Louvain) qui pourtant va nous conduire un pas plus loin en posant la question La conscience est-elle une propriété omniprésente de tous les systèmes vivants ?
Approche biologique
A partir de la définition formulée par Trewavas et Baluska : « Au sens le plus simple, la conscience est une conscience du monde extérieur », ainsi que leur vision que la conscience n’est pas du tout limitée au Homo sapiens, ni aux animaux, mais qu’il s’agit d’une propriété universelle de tous les systèmes vivants. Ce point de vue est compatible avec la théorie de l’évolution.
Affirmer qu’un organisme est conscient du monde extérieur signifie qu’il obtient une contribution sur les conditions de l’environnement.
Tous les systèmes de capteurs dans le corps d’un animal, pour la lumière, les ondes sonores, les odeurs, le toucher, et interne direct comme pour les hormones., montrent la présence d’électricité comme agent pour transmettre les informations à des parties spécifiques du cerveau. Pour cela et c’est leur particularité et l’apport de Arnold de Loof : ils utilisent le système ionique des cellules du système nerveux. (et non des électrons qui se déplaceraient à la vitesse de la lumière)
Il met en jeu de nombreux récepteurs qui résident dans la membrane plasmique et utilisent des messagers secondaires pour la transduction du signal. Un second messager clé est Ca 2 . Les courants de calcium sont physiologiquement très importants..
Ainsi, la conscience du monde extérieur et intérieur implique un changement très complexe et incessant de l’activité électrique du cerveau. Ce qu’il appelle électrome (dimension électrique des systèmes biologiques qui représente l’ensemble des ions inorganiques concernés) pour une représentation/image électrique des conditions perçues dans les environnements externe et interne. Il ne s’agit pas de l’electro-encéphalogramme, mais de l’ensemble des composantes qui régissent l’activité électrique les ions inorganiques. Cet ensemble regroupe celui qui régit chacune des cellules interconnectées du cerveau. En effet c’est son apport que de souligner que chaque cellule, voire chaque vivant se définit par sa capacité relationnelle sur une dimension électrique autogénérée qui l’entoure d’un champ communicant. Il rappelle que lorsque cette capacité disparaît la mort a fait place.
Conclusion
Nous serions loin dans une sorte de fiction scientifique si une focalisation récente n’avait pas actualisé cette dimension :
Si nous restons étonné depuis Darwin , étonnement que reprend Chauvin vis à vis de la capacité de l’orchidée à entrer en relation avec les insectes qui l’environnent pour les conduire à permettre leur reproduction. Un coin du voile a cependant été soulevé sur la façon dont certaines fleurs par accordage de la vibration des pétales de leurs fleurs sur les battements d’ailes des papillons sont capables ainsi de les attirer. Dans le même registre des études sont entreprises sur les synchronies cérébrales entre interlocuteurs humains.
Reste que la constatation du chant des plantes, variable avec l’environnement, vient nous interroger ( pour l’écouter il suffit de brancher un amplificateur avec haut parleur sur une feuille et sur la terre pour qu’apparaisse ce chant.) Là encore un rapprochement est possible, ce chant possèderait des harmoniques qui auraient quelque chose de semblable à nos mélodies les plus écoutées.
Nous revoici donc au cœur de l’univers
“Le monde est –il constituer d’atomes insécables, ou est il une gigantesque monade unique à laquelle chacun d’entre nous et chacune de nos pensées appartient de manière indéfectible ?“P193
Cette question, c’est à la physique quantique qu’elle va maintenant être adressée.
Éléments de Bibliographie
Abraham H. Maslow vers une psychologie de l’être éditions Fayard 1972
Arnheim Rudolf la pensée visuelle éditions Flammarion Champ arts 1976
Bernateau Issée vue sur mer éditions PUF petite bibliothèque de psychanalyse 2018
De Loof Arnold sur le site : https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwj3toeW1-2BAxU5XaQEHfkZC_YQFnoECBMQAQ&url=https%3A%2F%2Fwww.ncbi.nlm.nih.gov%2Fpmc%2Farticles%2FPMC5100658%2F&usg=AOvVaw12oe5MT7EA5NKi8_DMLjp-&opi=89978449
Derrida Jacques La vérité en peinture éditions Flammarion 1978
Galland-Szymkowiak Expérience esthétique et rôle des associations sur le site :https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2016-4-page-1185.htm
Guattari Félix Chaosmose éditions lignes 2022
Henry Michel Voir l’invisible sur Kandinsky éditions PUF quadrige 2005
Heiddeger Martin De l’origine de l’oeuvre d’art première version éditions Payot et Rivages poche petite bibliothèque 2014
Heiddeger Martin Chemins qui ne mènent nulle part éditions Gallimard tel 1962
Lyotard Jean François Discours Figure éditions Klinsieck 2002
Naccache Lionel Le cinéma intérieur éditions Odile Jacob sciences 2020
Naccache Lionel Apologie de la discrétion éditions Odile Jacob 2022
Nietzsche Friedriech la naissance de la tragédie éditions librairie générale française livre de poche 2013
Rancière Jacques malaise dans l’esthétique éditions Galilée 2004
Vygotski Les Psychologie de l’art éditions la dispute 2005




