Véronique Souben
Notes préparatoires de l’exposé prévu le 21 novembre 2020
Lorsque je suis arrivée à la direction du FRAC en 2011, j’ai voulu proposer au public une approche historique et scientifique de la collection en instaurant notamment le projet de « l’inventaire » Celui –ci consiste à présenter tous les ans une partie de la collection en fonction du numéro d’inventaire des œuvres qui indique l’ordre d’entrée dans le fond. C’est l’occasion d’explorer les logiques et articulations de la collection, de se pencher sur le sens, et la dimension aujourd’hui historique habituellement tournée vers l’art du moment.
En 2016 lors de la rétrospective d’achat 1997-98,( vol 6) il apparaît que ce l’on qualifie de mouvement art relationnel, trouve des échos précis dans trois grandes installations de :Rehberger, Lieshout et Alicia Framis
Pour comprendre ce courant, il est important de rappeler le contexte artistique qui précède, car à la fois il marque la rupture et prépare le terrain.
Les années 80 : l’avènement du Post-modernisme

Ces années sont marquées par l’avènement du courant postmodernisme en art, théorisé par les architectes Charles Jenck, puis Venturi et le philosophe Lyotard . Il remet en question une approche moderniste et linéaire de la création pour revendiquer un éclectisme peu orthodoxe et irrespectueux. Mélange des styles les plus variés confrontant, si possible, sujets nobles et styles populaires, retour à des techniques anciennes oubliées, voire bannies comme la peinture, la sérigraphie, la sculpture sur bois, la lithographie. Retour à la figuration et surtout à l’histoire avec l’usage débridée de la citation. Cette tendance s’incarne dans les mouvements de la Transavant-garde en Italie (Chia, Cucchi, Clemente, Paladino), La Nouvelle Figuration en France (Combas, Di Rosa, Boisron…), Neuen Wilden en Allemagne. L’esthétique joyeuse de ces années rompt avec les courants plutôt austères des années 60-70 autour du conceptuel, de la performance, d’un art plus politique et cérébral.
Les années 90 : l’hybridation s’impose
Si ces mouvements se tarissent, voire disparaissent avec la crise boursière de 87 et la chute brutale des cotes de ces artistes, l’éclectisme et l’hybridation revendiquées par les artistes des années 80, ne fait finalement que s’affirmer et s’élargir pour donner naissance à de nouvelles formes artistiques encore plus hybrides, métissées, indéfinissables, informelles, sans style défini, ayant souvent une forme installative, mais que n’accompagne aucune pensée esthétique ou théorique— si ce n’est celui de l’esthétique de la communication développé par Mario Costa (en 1983)
C’est en observant ce déficit de théorisation que Nicolas Bourriaud, commissaire d’exposition, écrivain, critique d’art et théoricien, tente en 1995 à travers une série d’articles, de définir ces pratiques inclassables mais qui semblent converger vers ce qu’il nomme une forme d’esthétique relationnelle.
À l’époque, quel lien créer entre Rirkrit Tiravanija qui organise un dîner chez un collectionneur en lui laissant le matériel nécessaire à la réalisation d’une soupe thaïe, Pierre Huygue qui expose les photographies d’ouvriers en plein travail à quelques mètres de leur chantier. Où encore avec Vanessa Beecroft qui habille et coiffe d’une perruque identique une vingtaine de femmes que le visiteur ne perçoit que de l’embrasure de la porte, Parreno qui invite des gens à pratiquer leurs hobbies favoris le jour du premier mai, sur une chaîne de montage d’usine, et aussi Maurizio Cattelan qui nourrit des rats avec du fromage « Bel paese » et les vend comme multiples , Christine Hill qui se fait engager comme caissière dans un supermarché, et anime dans une galerie un cours hebdomadaire de gymnastique et enfin Carsten Höller qui recrée la formule chimique des molécules secrétées par le cerveau humain dans l’état amoureux, élève des pinsons dans le but de leur apprendre un chant nouveau ?
Nicolas Bourriaud
Biographie
Il est aujourd’hui en charge du centre de culture contemporaine » la Panacée » à Montpellier. Il est connu en France pour avoir lancé en 2000, avec G. Sans, le Palais de Tokyo dont il a assuré la programmation jusqu’en 2006. Il a également beaucoup fait parlé de lui lors de sa nomination à l’école des Beaux Arts de Paris en 2011 dont il fut remercié en 2015. Bourriaud démarre très tôt ses activités dans le monde artistique, Il est, dès le début des années 80, auteur d’expositions comme « Il faut construire l’Hacienda » (avec Éric Troncy), CCC Tours, 1992 ou Aperto en 93 à la Biennale de Venise. Il est aussi auteur de très nombreux articles dans les magazines de grande audience, plus particulièrement avec Beaux Arts magazine et Artpress avec lesquels il collabore régulièrement.
Un recueil de textes
En 1992, Bourriaud fonde la revue Documents sur l’art pour laquelle il rédige un ensemble d’articles sur les pratiques contemporaines où apparaît en 1995 la notion « d’esthétique relationnelle. » L’ensemble de ces articles sera repris en 1998 dans un recueil publié aux presses du réel sous le titre éponyme. Davantage recueil qu’essai, Nicolas Bourriaud acquiert rapidement avec ce livre une notoriété internationale :à la suite d’un succès immédiat dans l’hexagone, le manifeste sera rapidement traduit dans une quinzaine de langues.
Contenu du recueil
Dan ce livre, le critique montre comment un grand nombre des pratiques contemporaines consistent, non plus tant à créer des formes, à utiliser de nouvelles techniques, qu’à instaurer un cadre pour des relations humaines, et comment cette sphère devient une « forme artistique à part entière » . Pour lui, ce nouveau type de relation dépasse les relations traditionnelles, intrinsèques à toute œuvre d’art ; à savoir le lien entre l’artiste et le monde et entre le regardeur et l’œuvre. Ces liens s’élargissent pour générer de nouveaux modes de relation.
L’œuvre, dans sa forme matérielle et autonome, n’est plus une fin en soi, elle devient un cadre, un dispositif, dans lequel les objets et éléments qui la constituent sont à considérer comme des documents à posteriori, des « traces » de ces instants de rencontre.
Ces tendances se traduisent notamment par l’importance accordée à la mise en exposition. La manière d’exposer devient déterminante. Elle induit une collaboration grandissante du public.
Les œuvres relationnelles donnent naissance à des pratiques d’exploration des liens sociaux qui ouvrent sur des opportunités d’émergence de nouveaux modes de pensée, de nouvelles possibilités de vie. Elle génère une esthétique de l’interhumain, de la rencontre, de la proximité, de la résistance au formatage social et économique
Ce qui fait la particularité de cet art, c’est que cette transitivité se traduit par la « production de relations externes au champ de l’art » comme les sciences, l’architecture, la sociologie par exemple.
Le contexte d’émergence de ce courant
Pour Bourriaud, les tendances au relationnel sont le fruit de plusieurs facteurs :
– l’utilisation de plus en plus généralisée d’Internet,
– l’introduction de technologies interactives dans les productions artistiques,
– la croissance de l’industrie du loisir culturel.
Ces facteurs aboutissent à un contexte sociétal où les relations sont de moins en moins directes, toujours plus relayées par des intermédiaires et interfaces.
Dans ce contexte Bourriaud pense que l’art d’aujourd’hui, alors qu’il est issu d’un domaine historiquement dévolu à leurs « représentations, » peut, dans ces nouvelles formes, dépasser ce paradigme de la représentation, pour créer des rapports directs au monde .
A travers ces articles, Bourriaud révèle aussi une autre façon d’appréhender la scène de l’art actuel. L’esthétique relationnelle dont il est question ici n’est pas une « théorie de l’art » mais se veut plutôt une « théorie de la forme ».
Quelle continuité avec l’avant garde ?
Cette manière de créer un lien avec l’entourage, d’intégrer le public dans l’œuvre, n’est pas sans précédents. Elle trouve des racines notamment dans le mouvement Fluxus qui dans les années 60 invitait, à travers les happenings et évents, à la participation du spectateur, introduisant ainsi une rupture avec une approche sacralisée de l’art qui interdit le contact :
le « Noli me tangere ».
Cependant, à la différence des artistes des années 1960 et 1970 qui, à travers cette approche, cherchaient à redéfinir l’art et ses frontières, les artistes des années 1990 ne cherchent pas la remise en question, la table rase. Ils cherchent davantage à repenser les relations entre l’art et la société en imaginant des micro-événements qui favorisent la proximité. Ils cherchent à résister, de l’intérieur, à une culture de communication de masse dans laquelle la représentation de la réalité semble devenir plus importante que la réalité elle-même.
« La question posée n’est plus comment fait-on pour tout reconstruire ? Mais comment peut-on mieux habiter ce dont nous héritons ? »
Dans ce nouveau contexte, l’œuvre d’art n’est plus à considérer comme une « forme autonome ou originale », mais comme un domaine d’activité au même titre que les autres. L’art ne se situe plus ici dans la spirale d’innovations sans fin de l’art d’avant-garde mais dans l’existant. En ce sens, l’art relationnel ne partage pas la vision moderniste créatrice d’utopies des avant-gardes du xxe siècle. Ce n’est pas un art de rupture avec le quotidien ou un art de fusion avec la vie, mais un art de l’infiltration.
Changement de paradigme : de la représentation à la fonction
Plus qu’un constat, son essai se donne pour but de produire des outils nous permettant de comprendre l’évolution de l’art actuel.
Pour Bourriaud, cet éclectisme de la production artistique semble difficile à définir avec les critères habituels basés sur la représentation. Avec ce livre, Bourriaud propose d’autres critères pour évaluer l’art, critères basés, non plus selon le thème, la technique utilisée, ou le style employé, mais selon l’usage et la fonction sociale de l’œuvre. Car l’art qu’il perçoit semble avoir pour fil conducteur non plus la forme, la technique ou le style, mais la sphère du rapport interhumain. Il s’agit de juger les œuvres d’art en fonction des relations interhumaines qu’elles figurent, produisent ou suscitent1 avec son entourage
L’œuvre n’est plus la production d’un objet, mais la création d’un cadre d’échanges où l’objet, l’image deviennent documents, traces, éléments constitutifs de ce cadre, et le spectateur, visiteur se transforme en acteur qui active et fait exister l’œuvre.
Cette définition crée un retournement majeur dans notre conception de l’art — et de l’œuvre. Car elle entérine l’idée que l’art, normalement issu d’un domaine historiquement dévolu à leur représentation, ne cherche pas à se confondre avec le monde, mais à créer à présent des rapports directs et actifs au monde.
Les principaux artistes que l’on rattache généralement à ce mouvement sont : Rirkrit Tiravanija, Dominique Gonzalez-Foerster, Vanessa Beecroft, Carsten Höller, Pierre Huyghe, Pierre Joseph, Angela Bulloch, Jes Brinch, Maurizio Cattelan, Liam Gillick, Douglas Gordon, , Christine Hill, Peter Land, Miltos Manetas, Gabriel Orozco, Jorge Pardo, Philippe Parreno, Jason Rhoades, Santiago Sierra…
Nous n’en choisirons que quelque uns pour explorer les directions prises.
Rirkrit Tiravanija,
La figure la plus paradigmatique d’un « art relationnel » avec laquelle Bourriaud entame son livre en lui consacrant, sous l’intitulé « Participation et transitivité », son 1er chapitre.
Thaïlandais né en 1961 à Buenos Aires et ayant étudié à l’université d’art et de design d’Ontario au Canada, Rirkrit Tiravanija incarne parfaitement la globalisation apparue dans les années 1990. L’artiste est à la fois influencé par l’art conceptuel, le nomadisme et le besoin de reformer des micro-communautés face à un monde en croissance exponentielle. En réponse à la désincarnation d’un monde contemporain ultra-numérisé, Tiravanija propose une alternative humaine. Il installe des espaces de vie dans les temples de l’art, imagine une alternative au marché à travers une réflexion poussée sur la valeur du processus et la communauté.
1989-90 :1ère actions en galeries
Dès la première apparition de son travail à New York en 1989, la critique fut déstabilisée. Tiravanija insufflait du quotidien, des actions simples et à priori sans valeur dans l’espace des galeries qui impliquaient des déchets ou restes de repas.

Pour sa première exposition en 1990 à la Galerie Paula Allen, à New York, l’artiste organise tous les deux ou trois jours un repas thaïlandais qu’il offre gracieusement aux visiteurs. Les jours « vacants », les ustensiles de cuisine et les restes du repas sont exposés dans la galerie.
Untitled (Free), Gallery 303, 1990
Pour sa seconde expo en 92, il remplit la galerie 303 avec des stocks de nourritures et déchets, transformant ainsi l’espace blanc en lieu de stockage.
Untitled (tomorrow is another day) en 1996
Il va plus loin en 96, en transformant la galerie de Gavin Brown à New York en appartement privé ouvert 24 heures sur 24. Un véritable casse-tête pour le marchand dont l’espace se voyait livré à une socialisation incongrue. Exposition de référence qu’il rejouera, sous ce même titre et avec ce même principe continu, à la Kunstverein de Cologne où il reconstitue l’espace de son appart de NY
Studio d’enregistrement
Sans titre (Rehearsal Studio no 6), 1996
Dans la lignée de ces premières expositions en galerie, Tiravanija ouvre cette fois un studio de répétition qui voyagera du Whitney Muséum de New York au Consortium de Dijon. Lieu de convivialité implanté dans l’espace d’exposition habituellement sacralisé, cette œuvre est réellement destinée à être utilisée par des groupes musicaux. Le reste du temps, la structure demeure inerte, comme en attente d’une activation populaire et spontanée.
Ce lieu est rejoué à Dijon dans l’exposition du Consortium intitulée: Untitled 1996 (One révolution per minute) où l’artiste décline plusieurs espaces de convivialité dans lesquels il rejoue les œuvres de la collection du Consortium.
Architectures modernistes
Dans la même veine du studio, il réalise en 1997 une maison de verre: Untitled (Playtime), qu’il installe dans le temple du modernisme qu’est le MOMA. Cette maison, construite à l’échelle d’une maison pour enfant, est une réplique de la Glass House de Johnson de 1949.
Dans cette même logique de relecture du modernisme, il fabrique en 1998 la structure Dom-Ino, réplique du fameux plan B de Le Corbusier de 1915 qui fait fi des murs porteurs. Le plan en tant que structure devient ainsi un véritable dispositif de vie et d’expo où l’on partage.

La structure de chrome et acier inspirée de l’iconique Kings Road House de Rudolf Schindler à Hollywood en 1922 regroupe des aires d’activités pour session de DJ, films, massages Thaï.
Retrospective aux Cordeliers en 2005
Après plusieurs présentations au Museum Boijmans Van Beuningen à Rotterdam, à la Serpentine, il expose au Couvent des Cordeliers à Paris A Retrospective (tomorrow is another fine day).
Aux Cordeliers, il pousse l’esthétique relationnelle encore plus avant en reproduisant plus ou moins fidèlement les espaces de l’ARC pour évoquer ses différents projets et sans y introduire d’objets. Le visiteur pourra suivre au choix trois types de visites :
1. soit un guide-conférencier reprenant le récit autobiographique de Rirkrit Tiravanija,
2. soit un comédien (casting sous la direction du réalisateur et producteur français Charles de Meaux) récitant un texte de Philippe Parreno,
3. soit l’enregistrement du texte de Bruce Sterling, écrivain USA de science fiction, diffusé en permanence dans l’espace.
Projet utopique et communautaire depuis 1998
Depuis 1998, il s’investit sur un territoire thaïlandais autour de la ville de Chiang Mai. C’est là qu’il a installé une communauté d’artistes, The Land Foundation, qui compte les Français Pierre Huyghe et Philippe Parreno. Dans ce projet, entre utopie communautaire et réhabilitation, écologique, art, architecture et agriculture s’entrecroisent pour former des projets hétéroclites, poursuivant la réflexion toujours vivace sur la fusion entre l’art et la vie.
Soup/No Soup au Grand Palais, 2012

Dans la cadre de la triennale « Intense Proximité » consacrée à la mondialisation, il transformera pendant douze heures la Nef du Grand Palais en un gigantesque banquet festif dont le menu consistera en une soupe Tom Ka.
Alicia Framis
Dans ce même élan social, l’artiste espagnole développe des architectures sociales. A entendre selon Wikipédia : une conception consciente d’un environnement qui encourage une gamme souhaitée de comportements sociaux menant à un objectif ou à un ensemble d’objectifs.
Formée à l’université de Barcelone, aux Beaux Arts de Paris, à L’institut des hautes Études et à la Rijksakademie d’Amsterdam, l’œuvre d’Alicia Framis interroge le rôle de l’art dans l’espace public, en empruntant son vocabulaire à l’architecture, au design ou à la mode. Ces interventions éphémères impliquent d’autres artistes et spécialistes issus d’autres champs pour créer les conditions d’une nouvelle expérience d’échange et de communication.
Arte Habitable, 1995
Quatre artistes passent 2 mois et demi à vivre dans une maison à Amsterdam pour créer, dormir habiter et exposer leur art dans un environnement journalier : en un mot examiner la manière dont on peut habiter un projet artistique, dont on peut expérimenter la frontière entre art et vie, vie et travail. Après deux mois, le lieu fut ouvert au public.
Cinéma Solo, 1996
S’inscrit dans cette même logique de huit clos expérimental par une résidence de l’artiste dans la banlieue de Lyon. Elle achète un mannequin pour lui tenir compagnie. Il en ressort une installation qui s’inspire du roman « La Maladie de La Mort » de Duras. Une histoire d’amour impossible entre un homme et une femme. Elle reprend des extraits et inverse les rôles.
Loneliness in the City 1999-2000
Un projet de recherche à long terme sur la solitude dans la ville, dans le but d’inventer des stratégies contre l ‘épidémie d’isolement dans les grandes villes.
Pour ce projet, elle collabore avec l’artiste Dré Wapenaar pour créer une plateforme mobile où artistes, architectes et public peuvent développer et échanger des idées. Le pavillon ovale contient 5 cabines où dorment les participants. Le reste est une tente ouverte au public. Le pavillon est un labo de recherche où les idées sont immédiatement testées dans la réalité. Ce pavillon qui voyage dans différentes villes est accompagné d’un dense programme avec workshop, performance, programme vidéo, musique et évènements interactifs avec le public local.
Bilboard, 2000
Maison faite de panneaux publicitaires, divisée à l’intérieur entre espace hard et soft remettant en question les séparations traditionnelles des maisons entre cuisine, salle de bain, salle à manger et couche ( qui ne sont plus adaptées à nos vies actuelles) , inspirée des maisons à Tokyo qui externalisent le manger, les bains etc. On allie deux fonctions : espace public et habitation dans des espaces urbains saturés. Lieux destinés aux personnes dans le besoin, mais aussi pour ceux qui veulent s’affranchir des contraintes de l’habitat comme une structure limitée, et transformer la ville en un espace domestique.
Cette maison fait partie du groupe de maisons construites pour le projet « The land « initié par R Tiravanija en Thaïland (d’où les pilotis pour les pluies).
Anti-Dog Collection 2003/ biennale de Venise
Un label de Mode et une collection de 23 tenues.

Elles ont été réalisées avec l’entreprise NL Twaron qui fabrique un tissu spécial ultra résistant proche du Kévlar , une confection inspirée d’icônes de la mode. Il en résulte une protection pour les femmes, notamment de couleur, contre les agressions. Cette œuvre part d’une expérience vécue par l’artiste à Berlin dans le quartier de Marzan, où résident les groupes extrémistes et skinead. Des textes avec copyright décorent ces vêtements.
En 2018 le » lifedress projet » va dans le même sens en présentant une collection de vêtements fabriqués avec la collaboration d’une usine d’ air bags. Ils se déclenchent lorsque la robe est touchée dans des zones sexuelles. Le tout restant du plus bel effet visuel.
Plus émotionnel, l’installation Murmurs 2000

Elle souligne l’interaction entre l’architecture et l’organisation des relations humaines. A la suite de la reprise d’une construction venant de l’époque de Mussolini, les gens du village exprimaient une honte vis à vis de cela. Le projet : Un des murs est perforé de trous. Le public est invité à partager et confier, ses vœux, ses pensées les plus intimes en écrivant son secret à l’encre sympathique, puis en le glissant dans l’un des multiples trous. Lorsque l’intervention est terminée, le «monument» dépositaire des murmures anonymes est plâtré, les messages demeurent inaccessibles.
Dominique Gonzalez-Foerster
Passée par le Magasin de Grenoble, elle développe, au début des années 90, des environnements qui mettent en jeu une atmosphère émotionnelle très particulière, marquée d’allusions littéraires, biographiques, cinématographiques et sensorielles.
Chambres biographiques et littéraires 88-95
Elle se fait connaître notamment par ses « chambres » qui prennent la forme d’environnements rappelant les espaces intimes d’un appartement où elle dispose des indices. Sorte d’espace mental, espace naturel d’exposition avec son histoire : chambre nuptiale, du psychologue…, sortes d’images en 3D.
Elle crée durant 7 ans des chambres biographiques, autobiographiques, littéraires qu’elle rassemble en 1995 sur un CD-Rom interactif qui constitue la résidence Color, une sorte de musée-hôtel qui aurait des chambres dans différents lieux du monde, comme dans « Et la chambre orange » lit défait, bac à douche, lampe…. Où la couleur orange qui domine joue un rôle, non plus décoratif, mais psychologique, immersif, narratif
Dans ces installations, les inspirations littéraires ou biographiques du début tendent à s’effacer, le sujet de la pièce devient plus flou et tente d’identifier ainsi des états d’âme, des états psychologiques qui n’ont pas passé la barrière du langage.
.Espaces lumineux, dématérialisés 1996

Puis elle délaisse le mobilier pour privilégier la lumière, la musique pour créer une ambiance.il en est ainsi dans « Une Chambre en ville » 1996 qui rassemble : une télé allumée mais muette, un téléphone que des gens peuvent appeler de l’extérieur, un radio-réveil, quelques journaux du jour empilés dans un coin. Il y règnent à la fois l’absence du propriétaire et la multiplication des modes de communication. Le tout doté de lumières changeantes, de couleurs alternées, sorte de scénario lumineux qui fait de la chambre une petite salle de cinéma.
Espaces abstraits : Milwaukee room 1997
Au Printemps de Cahors de 1997, l’artiste française exposera la « Milwaukee room » dans une pièce plutôt sombre, un lit, deux radios-réveils diffusant deux stations différentes et un chapelet de petites lumières vacillantes comme des bougies : pour l’artiste cette chambre plutôt morbide, est sans doute la plus abstraite jamais réalisée. Elle ressemble à une chapelle ardente dont l’artiste compare la couleur sombre aux toiles de Rothko, une sorte de mysticisme réprimé.
Expodrome en 2007à l’ARC
Ses chambres qui mettent en question la notion même d’exposition, l’amène à aborder son exposition personnelle à l’ARC, non plus comme une exposition classique d’œuvres, mais comme un «espace partagé», «un terrain de jeu», pour reprendre les mots de l’artiste. Expodrome consiste en un dispositif conçu et pensé comme une zone poly-sensorielle de sons, d’images et de reflets que le visiteur est invité à traverser librement. Il réunit plusieurs «espace-temps» déclencheurs d’expériences et réalisés en collaboration avec d’autres créateurs comme Ghesquière, Jay Jay Johanson, Bashung…. Autour de plusieurs intitulés: le Solarium, La Fée Electricité, La Jetée, la Promenade, le Panorama, Tapis de lecture, Cosmodrome, et le Cinéma.
Le Tapis de lecture est une œuvre de 1997 qui invite à parcourir des piles de livres de poche choisis par l’artiste qui sont la source de ses fictions reflet de sa pensée: une bibliothèque sans mur, ni toit.
Depuis les années 2000, Dominique Gonzalez-Foerster met en scène des installations toujours plus scéniques et ambitieuses où interagissent cinéma, musique, science-fiction, sorte de grands spectacles hybrides. TH. 2058, Turbine Hall, 2009. Pour le célèbre Turbine Hall de la Tate Modern, elle s’inspire des « Chroniques martiennes », nouvelles de Ray Bradbury dépeignant la réalité californienne des années 1950. Les sculptures installées dans le Turbine Hall sont toutes, hormis Felix (original de Maurizio Cattelan), agrandies de 25%, ce qui transforme ce lieu à la fois en musée (et non plus espace d’installation) et en zoo conservatoire d’espèces en voie de disparition, sorte d’arche de Noé. On y retrouve notamment Maman de Louise Bourgeois, le Flamant rose de Calder, ou encore Apple core d’Oldenburg et Van Bruggen. Écran géant avec des extraits de films de science fiction, 200 lits avec un livre, une radio solitaire qui diffuse péniblement une bossa nova de 1958.
Splendid Hotel, 2015,
Elle investit à Madrid une verrière construite au temps du chrystal Palace destinée à abriter les arbres qu’elle transforme en une sorte d’hôtel pourvu d’un seul grand espace et nommé Splendid Hotel comme beaucoup d’hôtel de la fin du 19ème. Elle y installe des fauteuils à bascule Thonet, auxquels elle adjoint des livres liés à la fiction, au voyage et rejoue l’espace ailleurs
Pynchon Park, MAAT Lisbon, 2016
Au nouveau musée de Lisbonne sur le thème inaugural: Utopie/Dystopie. Avec Pynchon Park, l’artiste plonge en 2016 le visiteur au sein d’un univers dans lequel les extra-terrestres pourraient observer les comportements humains dans des conditions idéales. Pour cela, l’artiste a utilisé et mélangé différents arts et médiums : sculptures, sons, musiques et performances : ballons, tapis colorés ressemblant à des livres ouverts, couvert du son de la mer. Vu du haut, la scène à un caractère cosmique renforcé par un cycle lumineux de jour et nuit. Le tout saupoudré de références littéraires classiques et de concepts dystopiques empruntés à la science-fiction. L’artiste a imaginé un espace sous forme de conte dans un espace renvoyant au base ball cf. Pynchon dans le Massachussetts
Christine Hill
Crée en 1996 une boutique à Berlin-Prenzlauerberg et à Brooklyn, la « Volksboutique », dont elle est propriétaire et où on vend des habits vintage, on sert du thé et l’on discute de l’identité, du temps et des effets du tourisme sur l’entourage. En réaction contre la grande précarité des artistes et afin d’être autonome en se libérant de la nécessité d’avoir une audience par exemple, cette boutique induit une approche quasi anthropologique des objets qui nous entourent, objets sans qualité et susceptibles de disparaître sans laisser de traces. Sorte d’inventaire, d’archivisme de nos sociétés.
Sa boutique est marquée par une esthétique rétro qui sévit après la chute du mur avec l’appropriation par la mode d’objets datés en provenance des pays de l’est ; le mot provenant de l’acronyme VEB, or VolksEigenen Betrieb, était le terme employé par les socialistes pour les propriétés collectives et industrielles.

Elle sera franchisée lors de sa présentation à la documenta de Cassel en 1997 où Hill abandonne son rôle de vendeuse pour devenir une intervieweuse de talk show, une guide touristique, une masseuse, un designer retro, transformant chaque jour ses jobs en activité artistique pouvant être présentée en galerie ou sur la route. Brouillant la frontière entre art et commerce à tel point que les bénéfices qu’elle dégagea lors de la Documenta susciteront de nombreuses critiques, notamment celle que la Documenta n’était pas une manifestation commerciale, ils ont occulté ainsi la dimension ironique et critique du travail.
Elle montre et décline ses volksboutiques, lors de nombreuses manifestations comme à la biennale de Venise en 2007, sous l’intitulé Minute avec un livre conçu comme un bloc note, inventaire commercial. Où plus récemment au Martin Gropius Bau en 2009. Le projet de cette exposition est basé sur l’examen des principes fondamentaux de la fondation du Bauhaus. Il examine la façon dont ces principes survivent aujourd’hui dans le design contemporain. Hill fait cela en critiquant à la fois les idées Bauhaus et leur dilution actuelle dans le marketing de masse. Cette installation majeure suit son projet à la Biennale de Venise en 2007, et à sa Volksboutique Armurerie Apothicaire 2009 au Armory Show à New York.
Atelier van Lieshout
Atelier van Lieshout, est une coopérative artistique crée en 1995, elle est située dans la banlieue de Rotterdam et officie comme une véritable entreprise PME. Sous la direction de Lieshout est produit une sorte d’anti-design en œuvrant, non plus pour les espaces d’exposition, mais dans les espaces utilitaires et secondaires comme les cafétérias, mais aussi les toilettes, les vestiaires etc.

Là où se place l’œuvre( à l’entrée du musée), elle est aussi bien sculpture que mobilier, ou installation, elle en vient à susciter pour l’usager une série possible d’interrogations sur le vivre ensemble, la vie en commun, et la place de l’homme dans le monde. La création de » cellules .d’habitation » sera sa marque de fabrique.


La sculpture /architecture sera ainsi refusée par plusieurs musées, bien que l’atelier la présente comme une pièce dont le sens est de symboliser la puissance de l’humanité sur le monde, critiquant le dilemme éthique des abus dans l’élevage et de la manipulation génétique, pendant que dans le même temps « la bestialité est un des tabous résiduels. » Lieshout parlera d’une pièce très abstraite où il n’y a aucun organe génital ,c’est presque innocent.
Il est possible de voir que les systèmes de pouvoir, la vie la mort, le sexe, l’individu humain face au grand tout sont récurrents, voire obsessionnels pour l’artiste.
En 2001, s’est érigée AVL Ville, « un État libre » l’expérience assez tumultueuse a duré 8 mois, dans une tentative à façonner un environnement alternatif, l’objectif est de produire l’art pas seulement pour exposer mais pour y vivre.
Équipés d’une cantine, d’un hôpital, d’un bordel et de dortoirs, les habitants du territoire avaient rédigé une Constitution afin de répondre à d’éventuelles querelles internes.On y fabriquait son propre mobilier, en plus d’ériger des drapeaux, de concevoir des sculptures et de frapper sa propre monnaie, afin d’être « légalement » autorisé à vendre de la bière, mais aussi des armes. Traqués par la police pour la fabrication illégale de ces ustensiles, Joep et les siens trouvaient alors un moyen de contourner la loi en érigeant ces objets, non plus au statut d’objets usuels mais d’« œuvres d’art ».
Après une brève quasi-autarcie, cet État libre a dû disparaître pour que personne ne soit emprisonné. Les processus de travail de cette grande époque sont relatés dans le Manuel regorgeant d’instructions diverses et variées. Comment cuisiner le cochon, comment fabriquer son propre évier en résine et fibre de verre, comment fabriquer des armes, l’intérêt des armes/bijoux et leurs dessins, les techniques de manipulation de la fibre de verre, la distillation d’alcool, la fabrication de petites architectures de survie….
Depuis 2005, AVL développe un autre projet : slave city que l’on a pu voir à la Friche (lieu d’exposition d’art contemporain de Marseille) en 2013 puis à Venise en 2016
Une ville monstrueuse devenue esclave de sa propre utopie.

Tobias Rehberger

De la même manière, il investit les espaces transitoires ou fonctionnels comme les cafés , les cages d’escalier.
Oscillant entre art et design, le travail le Tobias Rehberger se soucie peu de la part d’originalité inhérente à toute œuvre d’art. Il a étudié à Francfort où il enseigne. Pour sa 1ère expo en 1994 à la galerie Grässling, « Rehbergererst », il peint à l’aquarelle et au format agrandi, les peintures que son père réalise en hobby. Ces peintures sont accompagnées de meubles, de la maison de son enfance, qu’il fait réaliser de mémoire à leur taille originale. Il poursuivra cette expérience en 95 avec des artisans autrichiens à qui il donne par téléphone des instructions de mémoire, pour les fabriquer, intitulés, « eigenartigen »
– Pour la Biennale de Venise en 1997, Rehberger demande aux agents de surveillance de porter des sous-vêtements qu’il a lui-même dessinés, dissimulant ainsi l’œuvre dans le contexte muséal.
– A partir de 1999, il fait exécuter par des artisans thaïlandais des voitures selon des croquis faits de mémoire, articles de journaux, ou instructions transmises par téléphone mais ne contenant aucune mesure ni détail technologique. Sous la condition que ces véhicules soient à l’échelle humaine et fonctionnels, d’où les imperfections. Il passa du temps au Cameroun où il donna à des travailleurs des plans approximatifs de chaises iconiques du modernisme.

La série dans laquelle s’inscrit l’œuvre du Frac : « pleasant place to leave, » est un projet sur la durée entrepris en 95 puis en 99 puis en 2009. »smoking,listening,for himself-J care about you beaucause you do . Des tableaux en 3D qui requièrent une tierce subjectivité. Ces séries de projets induisent la présence, l’expérience ou l’action de tierces personnes pour leur réalisation.
CONCLUSION
Nouveau rôle ou statut de l’artiste
Ces nouveaux modes de production transforment également le rôle de l’artiste. Celui-ci devient un programmateur de formes nouvelles, un « sémionaute » (2003 : 10) dont le propos et le processus le rapproche du metteur en scène de théâtre ou de film.
Critique de l’approche
Claire Bishop dans son article « Antagonism and Relational Aesthetics », publié en 2004 dans le périodique October, les œuvres exemplifiées par Bourriaud se limiteraient à une conception consensuelle de la relation, ce qui tendrait à exclure tout un pan de l’art contemporain et actuel basé sur une conception de la relation en termes de ‘dissensus’ (Jacques Rancière), voire de conflit.
L’esthétique relationnelle a petit à petit supprimé la distance entre le visiteur et l’art, a amenuisé le caractère sacré de l’œuvre, conduisant à vivre l’art comme une activité relevant de l’évènement et du ludique. Ce glissement — de l’art vers le divertissement — n’est pas foncièrement mauvais. Il doit cependant être analysé et commenté par la critique.
Il réalise la fusion art et vie sous forme de décalage avec la vie pour la donner à réfléchir autrement, Ou via ce déplacement peut conduire vers la dimension divertissement ?
Aujourd’hui, à postériori
On peine à définir les styles et courants dans une économie mondialisée
L’esthétique relationnelle, si elle ne désigne pas un mouvement à proprement parler, a intégré les réflexions de l’art, a poussé les artistes à prendre conscience d’une dimension essentielle de leur travail. Elle est aujourd’hui une forme artistique reconnue qui laissera derrière elle de nombreuses survivances. Pourtant, elle n’est pas exempte de problématiques qui traversent, et traverseront avec d’autant plus de force à l’avenir le monde de l’art.
La notion rencontre un succès à postériori, amplement reprise et vulgarisée par les pouvoirs politiques lors de commande, ou pour soutenir, promouvoir, une forme d’art qui aurait une implication sociale positive d’échange.
Elle amorce une évolution qui n’a cessé depuis de s’étendre et de se complexifier : L’art comme dispositif qui glisse vers d’autres formes d’art ou de domaines comme science anthropologie, philosophie.
Des effets apparaissent chez de nouvelles générations d’artistes comme Tino Sehgal, ainsi que dans les dernières initiatives de modes communautaires qui se sont développées dans les grandes villes (jardins partagés etc).
Tino Sehgal
Le travail de l’artiste Tino Sehgal, Lion d’or à la Biennale de Venise en 2013, embrasse la théorie de Bourriaud. Il présente ses performances comme des « situations construites ». Pour son œuvre This objective of that object (2004), il entoure certains visiteurs de cinq personnes lui tournant le dos et chantant : « The objective of this work is to become the object of a discussion » (« L’objectif de cette œuvre est de devenir l’objet d’une discussion »). Si le visiteur se tait, ils se laissent aller vers le sol, s’il répond, ils entament une conversation avec lui. Il n’existe aucun visuel des performances de Tino Sehgal, celui-ci les refusant obstinément. Par cette coquetterie, l’artiste attire l’attention du public sur les rapports humains créés par son œuvre et la durée qui lui est attachée.
Bibliographie
- Bourriaud Nicolas Esthétique relationnelle les presses du réel 2018
- Forest Fred Manifeste pour une esthétique de la communication1984 accessible sur internet
- Lyotard Jean-François Discours,figure Klincksieck 2002