Conférence de Louis Moreau de Bellaing

 

Vivre sans le capitalisme ?

 

D’emblée, Louis Moreau de Bellaing situe sa réflexion à partir de sa formation de sociologue, un peu anthropologue, il tente ainsi d’analyser en profondeur avec l’aide de la psychanalyse les phénomènes sociaux.

Il précise d’une part, que la pulsion est commune à tous les êtres humains et d’autre part, que le statut de l’objet peut être concret, fabriqué, réel comme par exemple le groupe, la personne ou l’objet abstrait comme le contenu d’un livre. Louis Moreau de Bellaing montre aussi qu’il y a une spécificité des rapports et des liens sociaux dans les groupes et les catégories sociales d’individus qui ne peut être confondue avec les relations interindividuelles.

L’individu naissant est déjà investi par des personnes socialisées qui vont susciter en lui, à partir de son élan vital, le pulsionnel de vie et de mort. En investissant lui-même, objets, corps et son corps propre, cet individu naissant, tout en ayant sa propre singularité, entre peu à peu dans les rapports sociaux. Le pulsionnel est, à différents degrés, sollicitant de l’objet et sollicité par l’objet. Il sollicite les corps, les objets et il est sollicité par eux. Il y a une loi symbolique/réelle humaine qui comporte des processus et des états de légitimation et de légitimité : la prohibition de l’inceste, le sacré extérieur à l’humain dit sacré religieux et le sacré moderne intérieur à l’humain dit sacré civil/civique. S’ajoutent le don, le renoncement/sacrifice, l’autorité, l’altérité, la reconnaissance, la réciprocité, le rapport à autrui, l’identité, la liberté, l’égalité, la fraternité, la responsabilité, la justice… Ils donnent explicitement leur sens au droit légal et légitime et à sa jurisprudence et aux droits humains. Loi symbolique/réelle, droit, jurisprudence et droits, en modernité, constituent le politique approximativement légitime implicite et explicite. Ces processus et états de légitimation et de légitimité, le droit la jurisprudence, les droits s’impliquent au pouvoir, à la volonté, au désir, tout en demeurant à distance d’eux. Les composantes de la loi symbolique, par exemple, la liberté, l’égalité, la fraternité, la responsabilité et la justice ne sont pas des absolus. Ce sont des indéterminables toujours à questionner qui donnent à minima cohésion, en tout temps et en tout lieu au vivre ensemble.

La modernité et la nouvelle position du sacré à l’intérieur de l’humain ont changé la signification, le sens des processus et états de légitimation et de légitimité, du droit et des droits. Le libre arbitre collectif et individuel arrête alors les délégitimations, les illégitimations et les illégitimités en train de se faire ou les fait advenir, en transgressant légitimations et légitimités approximatives.

Louis Moreau de Bellaing précise qu’il ne faut pas confondre société moderne et société capitaliste. Ce serait un non-sens, le capitalisme s’étant greffé sur la société moderne. Cette confusion contribuerait à paralyser les refus, les luttes contre lui, les résistances. Le capitalisme est un excès illégitime global qui produit ses propres délégitimations, illégitimations et illégitimités, renforcées par celles produites dans la société moderne (vols, fraudes, abus de biens sociaux).

Le seul moyen de vivre dès maintenant sans le capitalisme et les capitalistes, c’est de trouver comment lui et leur résister en créant des espaces alternatifs. C’est ce qui se produit depuis longtemps dans des associations, des petits groupes, chez des individus pour éroder leurs actions. Le capitalisme comme système est au-delà de la perversion, du fait, de son illimitation et celle des capitalistes. Ce système tend à détruire non seulement l’économique, mais le social, le culturel, le politique, la politique. En ce qui concerne la   politique, celle-ci ne se produit que du social et du politique, par la rupture (qui n’est pas une séparation) que nous accomplissons, en mettant dans les sociétés modernes, la Constitution et la déclaration des droits comme autorité politique au sens de la politique dans la société comme Etat-nation. Constitution et déclaration des droits – écrites, ce que le politique n’est que partiellement – comme autorité politique légitiment des institutions politiques au sens de la politique : Conseil constitutionnel, Cour des Comptes, Cour de Cassation, Conseil d’Etat, Conseil économique, social et de l’environnement, à travers lesquelles vont se trouver légitimés, rendus légitimes l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Le législatif est par ailleurs légitimé, rendu légitime directement par l’élection de député(e)s élu(e)s au suffrage universel direct et par celle de sénateurs(trices) élu(e,s) au suffrage indirect.

Cette identité politique, cette scène hors d’elle-même que se donne la société, comme le dit Gauchet, porte en elle ses propres degrés d’excès de légitimation et de légitimité politiques. Le problème est que la légitimation et la légitimité ne se confondent pas avec la légalisation et la légalité. Est pleinement légitime une décision de l’exécutif avalisée par le législatif (autrement dit une décision d’Etat) qui est à la fois légale (après contrôle du Conseil constitutionnel ou des Cours) et légitime c’est-à-dire reconnue par ces mêmes institutions et/ou par d’autres créées ou à créer dans le social, le politique et l’économique, comme non transgressive des principes généraux (processus et états de légitimation et de légitimité) du politique et de ce que nous appelons le politique de la politique, c’est-à-dire principalement la Constitution et les droits des déclarations.

La transgression du légitime peut se faire dans la légalité. Par exemple la loi de 1921 contre la contraception punissant de mort les personnes qui pratiquaient l’IVG était légale et légitime juridiquement et politiquement au sens de la politique, délégitimante, illégitimante et illégitime au sens du social et du politique. Il en est de même pour la déchéance de nationalité qui peut être légale constitutionnellement si le Parlement l’introduit dans la Constitution, mais qui demeure délégitimante, illégitimante et illégitime socialement et politiquement, car transgressant délibérément le droit d’appartenances d’êtres humains quels qu’ils soient à des sols.

Le social et le politique donnent à la politique, la politique donne au social et au politique. Ce peut-être, des deux côtés, dans la légitimation et la légitimité à la fois légale (juridique) et sociale et politique au sens du politique, mais ce peut   être aussi dans la délégitimation, l’illégitimation et l’illégitimité sociales et politiques (au sens du politique) et néanmoins dans la légalisation, la légalité, la légitimation et la légitimité juridiques et politiques (au sens de la politique). Le « 18 Juin » qui transgressait la légalisation et la légalité juridiques, la légitimation et la légitimité politique (au sens de la politique) ne transgressait pas la légitimation et la légitimité sociales et politiques (processus et états de légitimation et de légitimité). La résistance transgressait la légalisation et la légalité juridique, la légitimation et la légitimité politique,mais elle ne transgressait pas la légitimation et la légitimité sociales et politiques.

En revanche, la fraude fiscale qui est un excès illégitime et illégal par défaut du don obligatoire du social, du politique et de l’économique à la politique (et non à l’Etat) est une transgression illégale et illégitime au sens de la politique et une transgression délégitimante, illégitimante et illégitime au sens du social et du politique.

La prétendue autorisation donnée aux chefs d’entreprise de licencier économiquement à volonté leurs salariés peut devenir légale juridiquement et légitime politiquement (au sens de la politique), mais demeurera toujours délégitimante, illégitimante et illégitime tant politiquement au sens du politique que socialement et économique.