conclusion du 17 novembre 2018

Où va le sensible ?

Mes collègues et moi-même remercions les intervenants pour la richesse de leurs exposés qu’ils ont su nous faire partager et nous remercions aussi les participants pour l’intérêt qu’ils ont manifesté tout au long de cette journée autour d’un « sujet sensible ».

La lecture de ce qui se passe dans notre présent nous conduit à interroger l’originaire, l’archaïque, fils conducteurs de notre pensée et, pour le CIPA, ancrage clinique précieux de la compréhension du monde actuel, qui s’offre à nous sous des abords inédits.

Cet archaïque, réceptacle de l’intime et inconnu en soi, fait émerger le pulsionnel, puissance vitale qui déborde tout, faite de sensations et de barbarie. Toutefois ce monde de la sensorialité reste toujours à transformer, à civiliser. Son renoncement nécessaire dès la naissance de la vie psychique, introduit l’autre, porté par un féminin maternel sensible. Ce renoncement est mis en mots par le langage maternel profondément arrimé à la culture. Or, les dissensions entre le sensible et la culture ont fait vaciller un équilibre établi et quitter les chemins de l’hétéronomie au service du collectif pour ceux de l’autonomie.

Cette autonomie nous conduit alors à puiser en nous-mêmes les ressources du sensible plus qu’autrefois et avec moins d’étayage matriciel. Les changements sociétaux qui ont bouleversé l’équilibre nécessaire entre pulsionnel et culture font trop souvent apparaître des jonctions et disjonctions qui mènent à des sublimations mortifères ou à des débordements instinctuels dangereux dont notre actualité se fait aujourd’hui l’écho.

Les voies complexes parcourues parles intervenants de ces Rencontres-débat dans les champs de la psychanalyse et de l’anthropologie ont mis en perspective l’émergence de la légitimité des émotions dans la sphère publique et leur prise en considération. Elles posent la question du féminin au cœur de tout un chacun tout en interrogeant la domination masculine versus la position d’un féminin idéalisé et mortifère. L’artiste se fait aussi le porte-parole de ce féminin sensible au plus près de la décondensation de la pulsion qu’il transforme avec le visuel, le sonore et la pensée.

« Où va le sensible ? Vers quel avenir ? » Pourra-t-il structurer l’émotionnel si prompt à se déchaîner dans notre modernité qui prône l’individuel aux limites du légitime et de l’illégitime ? L’homme de demain, est-il destiné à devenir une entité en soi, flottante dans son moi-je singulier ? l’homme de demain, rattaché au collectif au nom de ses besoins propres et non plus ceux de l’ensemble aura à repenser ses liens au monde. Quel sensible vivrons-nous et quelle intersubjectivité devrons-nous penser ? Comment continuer à investir l’objet, l’autre ? Comment continuer à construire des liens avec la perception et la connaissance du sensible féminin qui se développe en chacun de nous dans un monde dont l’interprétation nous échappe ? Quel écart ? et comment allons-nous le construire ?

Comment l’homme de demain émergera-t-il de ces mouvements qui le portent vers un inconnu déjà présent en partie, mouvements traversés qu’ils sont par un capitalisme débridé, hyperconnecté et mis en scène par les mythes contemporains de l’hybridité et de la longévité ? Avec, dans le même temps, le cramponnement à un monde ancien qui se manifeste par la montée des communautarismes de tous ordres, liés aux excès du religieux comme à ceux du capital ?

C’est vers l’homme planétaire que nous allons nous tourner. L’homme planétaire, cet homme, sera-t-il apte à penser un nouveau monde ? Innover, créer, demande beaucoup de renoncements,lesquels ? Pour quels investissements ? Et à partir de quels traumatismes ? Il y aura de nouvelles formes d’interdépendances, de liens à créer, comme par exemple, ceux entre individus et sphère publique.

Nous vous proposons de venir y penser avec nous lors de nos prochaines Rencontres-débat qui auront lieu le samedi 23 novembre 2019 : « L’homme planétaire : empathie et/ou barbarie ? ».