Conclusion des Rencontres-Débat du 23 novembre 2019

L’homme planétaire : empathie et/ou barbarie ?

L’homme planétaire se construit et se déconstruit tous les jours, fruit de nos errances et de nos discontinuités. Sa figuration et sa représentation restent toujours en mouvement et de ce fait inachevées.

L’anthropologie nous précise comment notre société se désarrime progressivement du patriarcat traditionnel en en choisissant un autre, celui du marché et de ses valeurs économiques donnant lieu à un capitalisme qui scinde le monde en parties très inégales, les possédants, les consommateurs et les précaires. S’ajoute à cela une terre devenue fragile à force d’être colonisée et dont la finitude nous apparaît de plus en plus. Vers quelle perte allons-nous ? Perte de notre monde ? Et de quel monde s’agit-il ? Allons-nous devenir des exilés de ce monde que nous avons toujours connu, nous tournant vers un ailleurs toujours émergeant et à construire ?

La question est présente pour que cet exil devienne la métaphore psychique d’une nouvelle naissance et d’un développement autre qui prenne en compte à la fois la terre et le vivant dans sa diversité, mettant en jeu les strates les plus profondes de la psyché singulière : penser l’égalité autrement que dans des rapports de force et de division, ainsi que le signifie l’écoféminisme, en impliquant les forces politiques et économiques en présence dans l’ici et maintenant.

Pour reprendre certaines théories portées par le CIPA, notre position aujourd’hui nécessite la prise en compte de différentes disciplines : la philosophie avec la part inconstructible de la terre, l’écart et l’abjection ; la psychanalyse avec l’informe, l’étrangéité et l’inconnu, tout ce que nous ne maîtrisons pas. L’accueil de l’imprévisible devient alors nécessaire au jaillissement de la vie, créativité libre : ainsi l’art, sous toutes ses formes, qui se déploie pour nous aider à trouver du sens à la vie.

Néanmoins nous pourrions être séduits par la devise de la civilisation globalienne « Liberté, sécurité, prospérité ! La liberté, c’est la protection !» qui définit le monde sous bulle de la dystopie dans laquelle nous plonge l’écrivain Jean-Christophe Rufin dans son roman Globalia. Y sont extrapolées les tendances anthropologiques, sociales et politiques actuelles potentiellement porteuses de risques. Le monde est divisé en deux, les zones sécurisées sous bulle et les zones non sécurisées dans lesquelles vivent les exclus de la société, divisés en clans, et devenus de ce fait, les barbares, les terroristes. Globalia concentre tous les mouvements qui animent notre société : la faiblesse du pouvoir politique face au pouvoir économique tenu par une oligarchie dominante, la difficulté de concilier liberté et sécurité, une dérive totalitaire au nom de la lutte contre le terrorisme, un refus de l’histoire pour maintenir une cohésion sociale, l’exclusion, l’individualisme, le rôle des médias dans leur présentation de l’actualité ; une démographie contrôlée par un scientisme génétique prolonge la vie et empêche la procréation : « mortalité zéro, fécondité zéro », conduisant à l’isolement des individus, à la manipulation et à l’infantilisation des masses… Les deux héros de ce roman, Baïkal et Kate, sont en lutte pour quitter ce monde sous bulle vécu par eux comme un exil de soi imposé par une société où la liberté de pensée et de se lier à d’autres, d’aimer, a disparu.

Le CIPA remercie donc ici les intervenantes et intervenants de cette journée qui nous amènent à penser un monde autre, à penser un monde périlleux certes, mais imaginatif et créatif.

Nous remercions aussi Marie-Laure Dimon, notre présidente dont la pensée stimulante et novatrice, nous a conduits, année après année de recherches au CIPA et d’organisation des Rencontres-débat, vers une appréhension nouvelle du sensible et une interrogation vitale de l’étrangéité, de l’inconscient, en nous, conditions nécessaires pour nous mettre sur la voie d’un penser autrement l’inconnu avec et malgré toutes les peurs réactionnelles que cela suscite et qu’il est impérieux de considérer.

Christine Gioja Brunerie