Autour du livre : sortir de la masse.

 

Introduction

Le titre est surdéterminé par rapport livre. Il traduit une sorte d’injonction faite au lecteur de sortir de la masse en cultivant une réflexion, activité psychique que l’on découvrira incompatible avec la formation de masse, d’autant que ne sera pas proposé ici un prêt-à- porter rassembleur ou une nouvelle théorie apte à régler les difficultés rencontrées dans la pratique. Les auteurs nous convient à partager leurs élaborations amenant le lecteur à interroger son propre positionnement. La démarche reste fidèle à l’esprit Freudien. La psychanalyse est une création continue.

Nous remercions à cet égard les auteurs qui nous ont livrés un état de leur pensée sur cette thématique de la masse. Quiconque s’intéresserait aux auteurs pourrait y trouver une contribution riche. C’est dans la vocation du CIPA de confronter les démarches et de fournir l’occasion à chacun d’affiner sa réflexion dans son propre parcours.

Il m’est apparu intéressant pour apprécier les apports du livre de revenir au texte freudien de départ.

La psychologie des masses et analyse du moi paru en 1921 constituait pour nous une pierre angulaire sur laquelle repose une part du questionnement sur le rapport individu /société.

C’est ainsi qu’une partie du livre présenté aujourd’hui s’est orienté sur une compréhension des phénomènes de masse dans ses différents aspects et comment l’individualité s’en trouve concernée.

Reprendre une lecture permet maintenant dans la démarche freudienne

-De situer à la fois les choix freudiens, leurs conséquences dans les élaborations qui s’en suivent, et lorsque ce qui a été écarté resurgit, la façon dont Freud lui a fait face.

-De reposer la question du comment nous nous étions laissés convaincre par l’argumentation ?

Elle est peut être en rapport avec l’objet même  circonscrit par Freud d’une masse avec chef, et si jamais, nous considérions l’ensemble psychanalytique sous cet angle, en serait-il le chef ?

Les choix de Freud

Autour de la notion de masse

La première remarque vise à clarifier pour se repérer ce que recouvre la notion de masse. Pour y prêter attention, Il n’est qu’à voir les oscillations de la traduction en français du texte allemand de Freud  : psychologie collective en 1924(Jankelévitch) Psychologie des foules en 1981 Psychologie des masses dans la nouvelle traduction. Nous nous rendrons compte qu’il ne s’agit pas en fait d’un problème de traduction, mais de désignation.

Disons le d’emblée, Freud se réfère à une situation précise, qui justement pose le rapport existant dans une foule avec un chef. En somme ici un rapport de un à tous bien particulier, à distinguer du rapport entre chacun du tous, pour y trouver une jonction. Nous y reviendrons.

Pour l’instant continuons la série de la problématique de masse avec ce que recense Freud autour de ce thème.

1)L’amas qui ne posséderait aucune organisation.  Il faut que quelque chose par hasard pousse à se rassembler pour faire masse au sens psychologique.  Freud rappelle là les travaux de Mc Dougall pour s’en éloigner et nous verrons en quelles occasions.

Juste une remarque pour qui aimerait les analogies. Nous savons maintenant que le grouillement de population est organisé, dès que ça bouge un ordre apparaît qui favorise le mouvement.

2) La foule en elle même ne peut être considérée comme masse, Elle est un potentiel avant que les liaisons soient instaurées, (celles avec le meneur et entre les individus. Ainsi Freud ne l’étudie pas.) Il faudra attendre 1960 et Canetti  pour décrire sa naissance, son développement puis sa désagrégation. Avec parmi ces trajectoires, celles que Canetti qualifiera de meute.

Il initiera la question de la foule par l’acceptation d’une perte de distance sociale, voire de distance tout court, fusion en quelque sorte des individus ? Le concept de limite, il faudrait relire encore, mais si il nous paraît omniprésent n’est retrouvé sous la plume de Freud que dans « la sensation voluptueuse à s’abandonner à ce point de leur passion, en se fondant dans la foule, en perdant le sentiment de leur délimitation individuelle. » et notons le au passage, il ajoute : d’autant plus intense que le nombre de personnes est grand.

Dans ce registre, Freud dans son texte convoque l’hypnose avec la formulation de masse à deux pour aussitôt faire la remarque d’une pondération : il n’y en a que deux et il est passé sous silence le comportement envers le meneur.

3) les masses hautement organisées, comme l’évoque Mc Dougall. Ces masses qui réserveraient les tâches intellectuelles à des individus qui s’y trouvent (masse ayant une histoire, des subdivisions.)Remarquons, Freud la cite et s’oppose nettement à ce point de vue : « on serait mieux fondé à pourvoir la masse des propriétés même de l’individu et qui furent effacés chez lui du fait de la formation de la masse. »Voilà qui éloigne en quelque sorte ce qu’il serait possible de concevoir comme réseau.

4) Ces approches de la notion de masse vont contribuer à la conceptualisation d’une masse : espace homogène dans laquelle il est possible de diffuser des messages ; prêt à porter idéologique décrit par T Adorno par exemple, susceptible d’agréger un certain nombre d’individus. Cet aspect ne sera pas évoqué dans le texte.

5) Ce qui ne sera aussi pas étudié est le rapport des masses, il n’y en a qu’une.

Dans ce livre les auteurs G Zimra E Diet et AL Diet élargissent le champ, ils examinent à la fois les situations de masse écartées par Freud ainsi que les situations de masse organisées qu’il ne pouvait connaître à son époque.

6) Revenons donc à Freud et à la situation précise qu’il étudie : La Masse avec chef.

Voici les arguments de son choix qui motivent sa position :

Le tableau étudié est en continuité de la horde primitive figurant dans totem et tabou tout droit inspiré de l’évolutionnisme Darwinien. Il s’agit d’une ontologie, du retour à l’originaire, de l’homme originaire, la masse originaire.

Autour de la notion de libido énergie sexuelle

Mais ici l’histoire a fait son chemin. Le chef n’est plus le père, mâle violent, mais la vengeance du père renversée et réinstallée est devenue cruelle, seule dit-il une telle théorie (élaborée à partir de la libido)est en mesure d’expliquer la fonction du meneur de la masse, masse qui a soif de soumission.

Mais que cette violence vengeresse libère à son tour la cruauté des participants, bien qu’il la mentionne, elle ne va pas être une voie d’étude qu’il suivra à ce moment là. Ce qui va constituer l’intérêt de Freud et c’est encore un choix qu’il a énonce clairement, c’est la libido qui rassemble.

Il décrit page 38 « à propos d’une tendance commune, un souhait auquel une multitude peut prendre part, ne fournirait-elle pas le même substitut? Cette abstraction pourrait à son tour s’incarner plus ou moins parfaitement dans la personne d’un meneur en quelque sorte secondaire, et de la relation entre l’idée et le meneur résulteraient d’intéressantes variétés. Le meneur ou l’idée menante pourrait aussi pour ainsi dire devenir négatif ; La haine envers une personne ou une institution déterminée pourrait avoir un effet tout aussi unifiant et susciter des liaisons de sentiment analogue à celle que suscite l’allégeance positive etc. » « Mais toutes ces questions ne sauraient nous faire dévier. Nous nous sommes tout d’abord captivés par la voie la plus courte que sont les liaisons de libido qui caractérisent la masse. »

Freud avait déjà été très clair à l’occasion de la dimension suggestion « A la place je tente l’essai pour éclairer la psychologie des masses, d’utiliser le concept de libido qui nous a rendu de si bons services dans l’étude des psychonévroses. »

C’est l’occasion de retrouver la définition de la libido à cette époque, je la rappelle:

« Libido expression provenant de la doctrine de l’affectivité ». Energie avec tout ce qu’on peut regrouper en tant qu’amour. Et plus loin « Pulsions d’amour appelées en psychanalyse par leur provenance des pulsions sexuelles. » Et de conclure « nous allons tenter cette présupposition que se sont les relations d’amour qui constituent aussi l’essence de l’âme de la masse. »                                                                                  Cela aboutira à la théorie que l’on retient de Freud sur la masse.

Les notes montrent que dans une relecture tardive l’intérêt avait évolué pour s’attarder à la haine P40 «  Dans un article récent, (au delà du principe du plaisir) j’ai tenté de rattacher la polarité aimer-haïr à l’hypothèse d’une opposition entre pulsion de vie et de mort. »

Le champ était ainsi ouvert à une lecture autour de la volonté déconstructrice de chacun de s’annihiler et d’annihiler l’autre. Peut être dans ce processus l’idéologie constitue-t-elle une étape repérable ce que peut laisser entrevoir les travaux de M Selz.

Avec le recul si cet essai avait comme titre son sujet, je proposerais :                                   Les masses qui caractérisent les liaisons libidinales

Quelques conséquences des choix.

Si comme on l’a vu la suggestion est considérée comme un paravent pour être écartée, l’hypnose persiste encore comme précipité héréditaire.

L’empathie sera mise de coté à regret mais aussi clairement.

L’identification qui vient prendre place ne manque pourtant pas d’ambiguïté comme on peut le voir :p 42

« L’identification est connue de la psychanalyse comme la manifestation d’une liaison la plus précoce d’une liaison de sentiment avec une autre personne. »« Simultanément à cette identification avec le père peut être même antérieurement à elle, le garçon a commencé à effectuer un véritable investissement d’objet de la mère selon le type par étayage. »(La personne de la mère est seconde ? la fille, il en sera question après)« Deux liaisons distinctes : envers la mère un investissement d’objet tout uniment sexuel, envers le père une identification à un modèle » (pas sexuel ?)« L’évolution de ces deux courants est la base de l’ Œdipe normal. » « L’un conduit vers ce qu’on voudrait être, l’autre à ce que l’on voudrait avoir. »

Pourtant dès le départ Les choses ne sont pas si simples puisque « l’identification se comporte comme un rejeton de la première phase orale de l’organisation de la libido. » Comment s’élabore la dichotomie ? Point que soulève Felzenszwalbe à l’occasion de l’évolution du droit qui passe de : la personne est un corps à : la personne a un corps.

Notons aussi «  la contrainte à l’identification devant l’impossibilité de maintenir une position hostile. »Et p82 «  l’identification à d’autres individus qui peut être fut rendue possible à l’origine par la même relation à l’objet. »

Nous verrons que c’est sur ces questions originaires qu’apparaîtront à l’occasion de la confrontation avec la clinique actuelle et son élargissement de champ d’observation la possibilité d une série de nouveaux concepts susceptibles d’appréhender l’observation.

Restons avec Freud du coté de la libido : si l’inhibition quant aux buts est source de liaisons durables, la satisfaction directe de la libido est elle temporaire. Cette inhibition permet l’existence de la masse, le cours direct de la libido est incompatible avec elle.

Mais tout n’est jamais entièrement résolu et même si l’individuation se poursuit, un reste de masse persiste en lui qui peut surgir dans certaines circonstances. MG Wolkowicz reprendra cette problématique.

Entre masse et individu, j’ai choisi un moment qui peut être vu comme charnière.

Freud parle de relations conjugales voici sa description. S’il y eut des relations de masse d’amour sexuel, plus l’amour sexué devenait significatif pour le moi, plus il développait d’état amoureux, et plus il exigeait avec insistance la restriction à deux personnes. Sachant que l’état amoureux p79 combine un facteur sensuel (nous voyons alors qu’ il emploi sensuel et pas sexuel) et un facteur tendre. Le tendre aussi est une issue du sexuel inhibé. il n’en parle plus à ce moment mais p 50 la surestimation sexuelle s’ajoute un moment. L’objet est aimé même sensuellement à cause de ses avantages quant à l’âme ; ce que Freud appelle erreur de jugement, idéalisation.et les motions de jalousie sont mobilisées pour protéger le choix d’objet sexuel contre le préjudice de la masse.

Lorsque le facteur tendre diminue, la dimension sensuelle régresse vers l’état antérieur de sexualité et la renvoie active en présence du groupe vers la recherche d’autres objets.

Faisons la remarque que la différence des sexes n’y apparaît pas et qu’elle se situe probablement dans le conjugal, ou dans le sexué ?

S’il est toujours possible de décrire une telle observation, on voit qu’elle ne peut aborder ce qui peut se présenter maintenant comme relation de couple, où deux interlocuteurs sont en présence. Sauf si elle est réduite à la conception d’un croisement de trajectoire d’une relation d’objet, ce qui aussi été proposé . ML Dimon nous donne un aperçu des repères élaborés susceptibles d’être mis en œuvre pour appréhender ces nouveaux champs cliniques. Repères bien en deçà de l’Œdipe qui reprennent la question des origines, ici autour de l’engendrement, pour ouvrir vers les dimensions de subjectivité et une recomposition des tableaux relationnels réinterrogeant ainsi les questions de différence des sexes. Questionnements qui seront repris par les approches des structures sociales par E Diet et les confrontations avec les nouveaux champs cliniques ouverts: par le transsexualisme pour F.Sironi et la demande de procréation pour S Faure-Pragier.

Conclusions :

  • Le domaine de la politique de nos jours donne me semble-t-il encore la possibilité de rencontrer aussi la configuration décrite par Freud. Je la situerais repérable au moment de l’élection d’un candidat, moment où celui-ci doit incarner une image, un idéal susceptible de rassembler le maximum d’individus, électeurs rassemblés tous égaux devant les urnes. Le candidat est-il dans la position de chef ?
  • Il y a là cependant en plus un rapport de masses qui nous l’avons vu n’est pas abordé : l’exclusion. A moins de le réduire au comportement décrit par Freud de la masse vis à vis de l’étranger, et de le transposer vis à vis d’une masse ?

–   Reste qu’un fois le chef en place, les questions se placent sur un autre mode, il s’agit de gouverner, et bien que certains gouvernants se soient inspirés des descriptions de Lebon, il ressort que cet exercice requière d’autres compétences lorsqu’on se prend à examiner les effets pour les individus et la société.

–   Lors de la conception et de la rédaction des articles de ce livre, la société française est mobilisée par cette question du mariage pour tous et sans aucun doute la proximité des interrogations développées dans ce livre s’est trouvée traversée par ce débat.

–  Récemment lors d’un émission d’Arte à l’occasion d’un débats 28 minutes le 9 septembre sur la nouvelle question posée à notre société française, celle de la réforme du code du travail, je suis surpris de voir que les trois interlocuteurs invités reproduisent jusqu’à la caricature, celle des débats télévisés, les différentes positions qui se sont élaborées dans nos discussions.

Y est présent : un représentant syndical qui parle du droit, de la loi et du rapport patron/salarié. C’est à dire se situe dans une structure Œdipienne, structuration de la relation d’objet, du rapport au père.

Un représentant des nouvelles entreprises, les indépendants, Start-up pour laquelle l’organisation du travail est un réseau, et qui attend une contractualisation des relations pour optimiser un fonctionnement. Ce qui peut se voir comme ante- Œdipien, ou relevant et appelant une structuration relationnelle dans la dimension interpersonnelle.

Une journaliste qui tient la position que ce n’est pas la réforme qui modifie l’offre de travail. C’est dire qu’à un certain niveau les deux approches sont équivalentes, mais peut être cela n’est valable que dans un instant donné ?

Ma surprise est que notre livre avait justement tenté de réfléchir et de problématiser la rencontre de ces différents points de vue, et les façons dont l’individu avec son inconscient contribue et est affecté dans cette histoire.

Le 24 septembre 2015

M. Brouta