LES RENCONTRES-DÉBAT DU CIPA 2016
CONCLUSION
Au nom de mes collègues du CIPA et, avant de conclure ces Rencontres-débat, j’adresse un merci reconnaissant aux intervenants de cette journée qui nous ont enrichis de leurs connaissances en partageant avec nous leurs travaux et expériences. Merci aussi aux participants qui ont contribué à rendre le débat fructueux et dynamique.
Que pouvons-nous dire maintenant pour conclure de ce que nous apportent les algorithmes et de ce qu’ils nous enlèvent ?
Au CIPA, si nous nous sommes penchés cette année sur cette mise en perspective entre les algorithmes, le réel et les symbolisations, c’est bien parce que tout ce qui arrive de nouveau, de novo comme disent les scientifiques, nous alerte tout particulièrement dans les effets et les bouleversements que cela provoque et détermine pour la psyché humaine. Psychanalyse et Anthropologie travaillent ainsi aux frontières de l’inconscient du sujet singulier et de l’anthropologie collective.
Du concept de l’algorithme, introduit par les scientifiques, à la production algorithmique mise en œuvre par la société avec sa complexité et sa calculabilité, s’est imposée une ouverture sur un autre monde qui bouleverse les fondamentaux humains.
Avec la notion des algorithmes de la nature, nous nous sommes interrogés quant à la proximité des modélisations de la machine avec la psyché humaine dans le registre des sensations/perceptions, les algorithmes venant ainsi nous bouleverser dans notre propre production nous mettant devant le constat d’une sensorialité possiblement déléguée à la machine.
Nous avons compris que cet algorithme de la nature est imprimé en nous depuis les origines. On pourrait à bien des égards parler d’instinctuel : comment en effet nommer ce qui pousse l’enfant à peine issu du ventre de sa mère, encore arrimé à son placenta par le cordon ombilical, à ramper jusqu’au sein et à le happer dans un mouvement irrépressible de succion ? Il a bien fallu qu’il ruse avec la perte de son espace, de son environnement originel, en saisissant le sein, puis là aussi le perdant, l’halluciner et enfin se focaliser sur le pictogramme, précurseur du symbole, première activité symbolique. Perte, hallucination, perception, sensation, rêve, la construction du symbolique se met en mouvement à partir de cette construction algorithmique naturelle qui laisse la place à la symbolisation, déterminée par la représentation du manque qui rejoint celle de l’absence.
Quand les hommes se sont emparés de l’algorithme, ils ont découvert ses capacités d’ordonner la vie, celles de sa prédictibilité, autrement mieux organisée que celle des oracles. Aujourd’hui, les algorithmes organisent tous les espaces de la vie, personnels, voire intimes, comme collectifs et sociétaux. Les impératifs de rendement sont au cœur de notre société capitaliste et le capitalisme au cœur de notre vie.
Les applications en sont multiples, dans le travail par exemple, organisé de façon à ce que l’employé se plie à une procédure qu’il finit par intégrer comme allant de soi. Comme nous l’avons entendu aujourd’hui, le rythme naturel du travail humain s’efface au profit d’une mise en algorithmes financière des corps destinés à être rentables, parfois même à atteindre des dividendes fixés au préalable et non plus dans l’après-coup logique d’une mise en œuvre. Comme si la rationalité algorithmique se fondait sur un monde numérisé plutôt que sur les réalités contingentes de l’humanité.
Les algorithmes sont présents, sur notre écran, au moindre vœu exprimé ou désir esquissé. Nous cherchons un livre sur internet. Nous pianotons, regardons des titres, des auteurs, il y en a qui nous intéressent plus que d’autres et puis nous passons à autre chose de notre vie qui continue. Mais ensuite, nous ne pouvons plus faire de recherches autres sans que des livres ou des revues portant sur le sujet recherché précédemment ne vienne s’immiscer dans notre champ de vision, il ne faudrait surtout pas que nous soyons en manque !
Les algorithmes tenteraient-ils de remplir la moindre parcelle de vide ? le moindre écart ? En rapprochant les modélisations de la psyché humaine de celles de la machine, on peut tout essayer y compris créer des rencontres amoureuses, sans surprises, sécures…
La crainte, c’est que, avec les facilités qu’apporte un tel outil, l’espace pour le manque, l’aléatoire, soit en voie de disparition et nous prive de l’imaginaire, du symbole, au profit d’une réalité brute.
Peut-on modéliser l’inconscient ? Les excès de l’algorithmique pourront-ils abolir la part irréductible de l’autre, celle qui permet de rencontrer l’inconnu, l’étranger, l’étrangéité et la créativité ?
Se priver de cet inconnu, l’ignorer, c’est le rejeter voire le stigmatiser et en favoriser un surgissement autrement plus critique et violent, dont le risque serait de ne pouvoir ni l’élaborer ni le symboliser.
Nous aurons à cœur lors des prochaines Rencontres-débat de partir au-devant de cet étranger qui est en nous et hors nous.
Retenez le samedi 18 novembre 2017.
Christine Gioja Brunerie, Psychanalyste, membre du CIPA, Thérapeute de couple.